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Libération
Climat Libé Tour Dunkerque : interview

«Le défi que l’on relève, c’est surtout d’être à l’heure sur les nouvelles infrastructures»

Xavier Piechaczyk, le président de RTE, en charge du réseau électrique en France, explique l’importance de la question énergétique pour que la France puisse relocaliser une partie de son industrie.
A Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), en fevrier 2023. (Theo Giacometti/Hans Lucas)
publié le 12 octobre 2023 à 17h37

Energie, transports, rénovation durable, végétalisation… En 2023, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous inédits. Objectif : témoigner des enjeux et trouver des solutions au plus près des territoires. Quatrième étape à Dunkerque, les 13, 14 et 15 octobre.

Depuis l’automne 2021, les industriels naviguent à vue à cause de prix de l’énergie, de l’électricité comme du gaz. Longtemps bas et stables, ceux de l’électricité ont notamment fluctué à cause des corrosions sous contrainte dans son parc nucléaire puis de la guerre en Ukraine, le tout avec un marché européen dont certains mécanismes ont pu pénaliser l’Hexagone. Xavier Piechaczyk, le président de RTE, en charge du réseau électrique en France, explique l’importance de la question énergétique pour que la France puisse relocaliser une partie de son industrie.

La France sera-t-elle prête énergétiquement d’ici à 2050 si elle veut atteindre ses objectifs de réindustrialisation ?

Oui, c’est tout à fait possible. Bien évidemment, une France qui s’électrifie, avec des industriels qui le font aussi, cela consomme plus. Si je ne prends que le chiffre de l’industrie, on projette une augmentation de 115 TWh aujourd’hui à 160 TWh en 2035 dans notre scénario de référence. L’ensemble de ces nouvelles consommations, pour atteindre nos objectifs de souveraineté industrielle et du «Fit for 55» [plan climat européen à échéance 2030, ndlr], cela passe par quatre leviers : efficacité énergétique (dont la rénovation des bâtiments), sobriété, production nucléaire et développement des énergies renouvelables. Et il faut aussi du réseau, en particulier dans les grandes zones industrielles françaises, que sont Dunkerque, Le Havre, la vallée de la chimie (du Rhône) et Fos-sur-Mer. Nous visons à être prêts dès 2028 à Dunkerque et à Fos. Pour donner un ordre de grandeur, cela représente 1,5 à 2 milliards d’euros d’investissements pour RTE, avec notamment des lignes de haute tension nouvelles.

Des infrastructures qui peuvent parfois susciter du rejet de la part de la population, comme certains parcs éoliens…

Pendant la crise du Covid, nous avons constaté que la France avait besoin de recréer de l’industrie dans plusieurs secteurs stratégiques, notamment celui des médicaments. Et pour alimenter les usines, il faut des infrastructures. Cela veut dire des nouveaux pylônes, c’est vrai. Mais ce sont aux opérateurs comme nous de bien les insérer dans le paysage. Il y aura toujours des oppositions, mais ces infrastructures de la transition énergétique, que ce soient les éoliennes, les centrales nucléaires, les panneaux photovoltaïques mais aussi les lignes et postes électriques, seront d’autant plus acceptées si cela permet de faire travailler des entreprises françaises, donc il en faut toujours.

Faut-il produire l’énergie au plus près des pôles industriels électrivores ?

Cela peut parfois être utile d’installer de la production au même endroit que la consommation, mais, quand une zone industrielle s’électrifie puissamment, comme à Dunkerque, il faut surtout du réseau, beaucoup de réseau. Les énergies renouvelables sont variables en fonction de la météo et les installations nucléaires s’arrêtent aussi régulièrement, pour maintenance ou rechargement du combustible. Or, les industriels veulent pouvoir consommer de l’électricité jour et nuit. Et c’est le réseau qui le permet.

Justement, comment RTE gère les sites très électrivores, comme Aluminium Dunkerque ou la raffinerie de zinc à Auby ?

Ces sites ne posent pas de problème particulier. Ils aident même le système électrique, en étant flexibles. Le défi que l’on relève en ce moment, c’est surtout d’être à l’heure sur les nouvelles infrastructures, notamment avec les délais très rapides de construction d’usines très rapides.

Des grandes entreprises ont ajourné voire annulé certains projets en Europe à cause, selon elles, du prix de l’énergie. Quelle est l’importance de ces prix pour une réindustrialisation en France ?

Bien évidemment que les industriels comparent les pays entre eux en matière de prix de l’électricité. Mais je rappelle que notre pays a un avantage compétitif dans le monde car les coûts de son électricité décarbonée sont plutôt faibles. Mais au-delà des coûts, que paient les industriels ? En Europe, ils sont exposés au marché et la crise de l’hiver dernier a montré qu’il était sur ce point dysfonctionnel, notamment parce qu’il a généré une certaine bulle de prix déraisonnable. L’enjeu de la réforme du marché européen de l’électricité, que porte le gouvernement à Bruxelles, c’est de faire en sorte que les pays aient la capacité de rapprocher les prix des coûts mais aussi d’avoir des tarifs qui soient stables dans le temps. Deux avantages comparatifs par rapport au pétrole et au gaz fossile, soumis aux fluctuations internationales.

Les énergies renouvelables vont monter en puissance. Est-ce que leur intermittence sera une difficulté pour les gestionnaires du réseau ?

Rappelons déjà que la France a choisi de garder une part de nucléaire importante dans sa production d’électricité. Or, ce n’est pas pareil de piloter un système électrique lorsqu’il y a 100 % d’énergies renouvelables ou non. Mais nous avons besoin de flexibilité pour piloter la variabilité des énergies renouvelables, soumis au vent et au soleil, notamment de trois manières : l’interconnexion avec les pays voisins, la modulation de la consommation et le stockage, comme les batteries stationnaires, les barrages hydrauliques rechargeables et, demain, avec l’hydrogène.

Le parc de voitures thermiques devrait être remplacé par 100 % ou presque de voitures électriques aux alentours de 2050. La France doit-elle s’inquiéter de cette montée en charge pour son système électrique ?

Non. Si nous arrivons à nos objectifs, cela ne posera pas de problème d’équilibre entre production et consommation. Nous aurions un besoin de l’ordre de 70 TWh en cas de parc de voitures 100 % électrifié alors que la consommation nationale prévue sera de plus de 750 TWh. Ce n’est pas un élément qui peut faire flancher le système électrique. Cela représente d’ailleurs un volume bien moins important que des industries totalement électrifiées. Si nous devions avoir une inquiétude, c’est plutôt à quel rythme les Français sont-ils prêts à passer à la voiture électrique ?