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Le Medef à fond pour la planification écologique... et pour des milliards de baisse d’impôts

Macron réélu pour un second mandatdossier
Avant même la nomination du nouveau Premier ministre, le président de l’organisation patronale réclame un effort de 35 milliards d’euros de baisses d’impôts par an en faveur des entreprises, pour la «décarbonation de l’économie».
Geoffroy Roux de Bézieux lors d'une conférence de presse au siège du Medef à Paris, le 24 janvier. (Eric Piermont/AFP)
publié le 16 mai 2022 à 17h25
(mis à jour le 16 mai 2022 à 17h56)

Geoffroy Roux de Bézieux se serait-il converti au Gosplan ? Ce lundi 16 mai, le président du Medef tenait une conférence de presse au siège de l’organisation patronale, avenue Bosquet à Paris, pour parler «planification écologique» et «décarbonation» : un «sujet majeur pour l’économie», encore plus prioritaire que l’inflation ou le pouvoir d’achat «mais les sujets sont liés». Et surtout «bien trop sérieux pour le laisser aux seuls écologistes» : «ce sont de grosses dépenses d’investissement, […] des décisions que l’on doit prendre maintenant si l’on veut qu’elles portent leurs effets en 2030 et 2050», a déroulé le patron des patrons, qui veut en parler «dès que possible autour d’une table avec la nouvelle Première ministre».

«Nos émissions de CO2 ne baissent pas assez vite»

Comme les entreprises voient davantage la ligne «coûts et investissements» dans le sujet que la ligne «réchauffement planétaire» ou «disparition des espèces», le Medef a commandé une étude à Rexecode, son institut de recherche favori, sur le thème «Décarboner l’économie, combien ça coûte ?» Avec dans l’idée de réclamer une fois de plus aux pouvoirs publics une «baisse des impôts de production à hauteur de 35 milliards d’euros», véritable obsession patronale qui figurait déjà dans le «programme présidentiel» de l’organisation…

Car sans surprise la décarbonation de l’économie va coûter beaucoup d’argent, sans doute «beaucoup moins que la non-décarbonation», a reconnu Roux de Bézieux, mais tout de même : «au moins 60 à 80 milliards d’euros en plus par an à partir d’ici 2030 et jusqu’en 2050» si l’on veut atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone. Un «surinvestissement» qu’il va falloir additionner aux investissements verts actuels, chiffrés à environ 600 milliards d’euros «dont 350 pour les entreprises, 150 pour les ménages et 100 pour le secteur public». Car actuellement la France est loin de la trajectoire zéro carbone en 2050 : «nos émissions de CO2 ne baissent pas assez vite, et le rythme de l’augmentation des investissements de décarbonation, qui atteint 2,5 % par an à l’heure actuelle, n’est pas suffisant», explique, PowerPoint à l’appui, le président de Rexecode, Michel Didier. «Il faudrait faire cinq ans de progression en une fois et tenir ce rythme tous les ans», soit investir 12 % de plus par an dans la mobilité électrique, la rénovation thermique des bâtiments, la décarbonation de l’industrie et de l’agriculture, etc.

Le coup du CICE

Pour les entreprises, cela représente entre 10 et 13 % d’efforts d’investissement supplémentaires, soit «entre 31 et 43 milliards d’euros par an en plus», a calculé Rexecode. Hasard ou coïncidence, la fourchette correspond pile poil aux 35 milliards de baisses d’impôts de production que réclame le Medef : «si on met en œuvre immédiatement cette baisse, tout l’argent défiscalisé sera réinvesti dans la décarbonation», promet la main sur le cœur Geoffroy Roux de Bézieux, qui demande aussi des «crédits d’impôts spécifiques pour les investissements dans la décarbonation». On se souvient que son prédécesseur Pierre Gattaz avait déjà fait le coup du «million d’emplois créés» avec pin’s au revers de la veste, en échange des 20 milliards du CICE (crédit d’impôts compétitivité emploi) accordé aux entreprises par François Hollande. On attend encore le million. Emmanuel Macron, qui a déjà baissé de 10 milliards les impôts de production et prévu 5 milliards pour décarboner l’industrie dans le cadre du plan de relance, n’a pour le moment promis aux entreprises qu’une nouvelle ristourne sur la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à hauteur de 7 milliards.

Mais le Medef, lui, veut la peau de tous les autres impôts de production (cotisation foncière des entreprises, contribution sociale de solidarité des sociétés, taxe sur le foncier bâti…) «qui pèsent sur le chiffre d’affaires, la masse salariale, la compétitivité des entreprises». Roux de Bézieux espère les voir baisser de moitié «d’ici la fin du quinquennat» pour réduire «l’écart avec la moyenne européenne». Et tant pis si les 77 milliards qu’ils ont rapportés en 2021 servent à financer les collectivités locales et la Sécurité sociale. L’Etat subviendra. «35 milliards c’est beaucoup d’argent, cela correspond à 70 % des investissements de décarbonation que les entreprises doivent faire : soit on prend sur les marges avec des conséquences sur l’emploi et la pérennité de l’activité, soit on baisse les impôts facteurs de charges pour trouver des ressources supplémentaires», prévient le patron du Medef.

Place aux «incitations fiscales»

Mais, au fait, quid des ménages à qui Rexecode assigne un effort d’investissement vert supplémentaire de 2,7 à 3 milliards d’euros par an, soit entre et 1,6 et 2,2 % de leur revenu disponible brut ? Ils devront dépenser plus pour rouler électrique, rénover leurs logements, changer de chaudières, etc. alors que les salaires eux n’augmentent pas ou peu et que l’inflation sévit déjà à 5 %. Mais Geoffroy Roux de Bézieux estime que les entreprises ont déjà fait leur part avec des «NAO» (négociations annuelles obligatoires) qui vont aboutir selon lui à des augmentations de 3 à 3,5 % dans le secteur privé. Pas question de bouger plus, «la question des salaires se posera si on atteint 10 % d’inflation, ce que je ne crois pas». Place donc aux «incitations fiscales» pour les particuliers et au «leasing» pour s’offrir un véhicule vert. Comme les entreprises, les salariés doivent aussi penser au «payback», retour sur investissement : «en cinq ans, une voiture électrique est amortie par la baisse des dépenses d’usage et de carburant». Les smicards qui peinent à boucler les fins de mois apprécieront le conseil financier.

A la nouvelle Première ministre en charge de la planification écologique donc de «faire converger politique économique et climatique» pour «que ça percole» sur le front de la décarbonation. Quant à la décroissance – produire moins, consommer moins, ne plus voyager en avion –, «ce n’est pas sérieux» : pour le patron du Medef, «il y a la sobriété façon Yves Cochet, c’est la privation de liberté», et «la sobriété façon Medef, c’est la croissance responsable qui mise sur les technologies pour réduire les émissions, sinon on ne fait plus rien». On l’aura compris, Geoffroy Roux de Bézieux veut parler de «choses sérieuses» à Matignon.