Les jours de Carlos Tavares à la tête de Stellantis étaient comptés. Le directeur général du groupe automobile franco-italo-américain a finalement démissionné ce dimanche 1er décembre «avec effet immédiat», annonce Stellantis. La décision a été prise à l’issue d’un conseil d’administration extraordinaire convoqué plus tôt dans l’après-midi, en raison de «points de vue différents», affirme un communiqué publié dans la soirée. Une «démission» à poser dont Carlos Tavares aurait été informé seulement la veille. Le nouveau patron de Stellantis ne sera connu que dans les prochains mois, preuve que la décision a sûrement été prise dans l’urgence, même si le communiqué affirme que sa succession «est en bonne voie et aboutira au cours du premier semestre de 2025». Et ajoute qu’«un nouveau comité exécutif temporaire, présidé par John Elkann [président du groupe, ndlr]» va être mis en place en attendant. «Nos remerciements vont à Carlos Tavares pour ses années de service dévoué et le rôle qu’il a joué dans la création de Stellantis, en complément des redressements de PSA et d’Opel, nous mettant sur la voie de devenir un leader mondial dans notre industrie», a malgré tout salué John Elkann dans le communiqué.
«Ce n’est pas Stellantis qui est [en difficulté], isolée au milieu de l’industrie automobile […], c’est Stellantis, Volkswagen, BMW, Mercedes, et ce n’est probablement pas fini», avait notamment plaidé Carlos Tavares à Sochaux (Doubs) début octobre, pointant un contexte dans l’industrie «hyper brutal». La plupart des entreprises automobiles occidentales doivent en effet réduire leurs prévisions à la baisse, certaines d’entre elles, comme Volkswagen, ayant même annoncé des dizaines de milliers suppressions de postes en septembre. Et samedi, preuve que la tempête sur le secteur est loin d’être finie, Bloomberg a annoncé que le directeur financier de Nissan Motor, Stephen Ma, allait lui aussi se faire lourder.
Tailler dans les effectifs et dans les coûts
Mais l’argument «c’est aussi grave ailleurs» n’a pas convaincu les actionnaires américains, qui ont gardé dans le viseur celui qui est arrivé à la tête du groupe en 2014. En Amérique du Nord, Stellantis a d’ailleurs dû faire face à un stock énorme de voitures invendues, qu’il a essayé d’écouler avec des promotions inhabituelles. Et devait impérativement les réduire de 100 000 unités d’ici début 2025. Sa politique de réduction des coûts – qui a entraîné encore récemment la liquidation du sous-traitant MA France –, comme celle de tailler dans les effectifs, commençait à hérisser aussi bien les syndicats que des concessionnaires qui, selon Bloomberg, ont accusé Tavares de nuire à des marques comme Jeep, Dodge, Ram et Chrysler. Le retard pris par le groupe dans l’électrique, une motorisation qui va devenir la norme dans les prochaines décennies mais pour laquelle Carlos Tavares a longtemps douté, a également interrogé nombre d’experts du secteur.
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Le 30 septembre, Stellantis avait émis un lourd avertissement sur ses résultats financiers 2024 : l’objectif de marge opérationnelle avait été drastiquement revu à la baisse entre 5,5 % et 7 %, contre une promesse à «deux chiffres» auparavant. L’action a chuté ce jour-là de 14 %. Et le 3 octobre, la dégradation de la note du groupe par Barclays l’a encore fait baisser de 4 %. Depuis le début de l’année, la valorisation de Stellantis a fondu de moitié. De quoi laisser entrevoir une sortie de piste pour Carlos Tavares, plutôt en janvier 2026, date de la fin de son mandat. «Je suis un professionnel, quand je mets ma signature au bas d’un parchemin, je l’honore, avait-il narré à Sochaux lors de sa visite début octobre. J’attends d’ailleurs de l’entreprise qu’elle fasse de même et je n’ai pas de raison d’en douter. En 2026, j’aurai 68 ans. Prenez tous l’échiquier politique, c’est un âge raisonnable pour prendre sa retraite. C’est l’option.»
Dividendes et salaire de Tavares records
Comment expliquer alors que l’option n’a pas été prise par le conseil d’administration de Stellantis et que la décision a été avancée d’un an ? «Le succès de Stellantis depuis sa création repose sur un alignement parfait entre les actionnaires de référence, le conseil d’administration et le CEO, explique dans le communiqué Henri de Castries, administrateur indépendant sénior de la marque. Cependant, ces dernières semaines, des points de vue différents sont apparus, ce qui a amené le conseil d’administration et le CEO à la décision d’aujourd’hui.»
Interview
Les deux dernières années étaient pourtant florissantes pour le groupe, avec 16,8 et 18,6 milliards d’euros de bénéfices respectivement en 2022 et 2023, qui avaient entraîné le versement de 5,7 milliards de rachats d’actions et dividendes au printemps 2023, puis 7,7 milliards un an après. Carlos Tavares, lui, avait défendu sa rémunération de 36,5 millions en 2023 : «D’abord, c’est une dimension contractuelle entre l’entreprise et moi. Comme pour un joueur de foot et un pilote de Formule 1. C’est une dimension contractuelle, il y a un contrat. […] Si vous estimez que ce n’est pas acceptable, faites une loi et modifiez la loi. Et je la respecterai.» Capital avait par ailleurs calculé la retraite de Carlos Tavares : entre 221 511 et 265 813 euros par an.
En France, ni Bercy ni Matignon n’ont souhaité réagir à cette annonce dimanche soir. Les quelque 47 000 employés de Stellantis en France attendent pourtant des réponses, après le départ de celui qui a promis que tous les sites français du groupe seraient en activité au moins jusqu’en 2028.