La maison Phénix ne renaîtra pas de ses cendres : le 28 juin, le tribunal de commerce de Nanterre a placé en liquidation Geoxia, le groupe propriétaire de cette marque emblématique de l’après-guerre et de la maison neuve pas chère, aux éléments construits en usine. Se retrouvent sur le carreau 1 180 salariés éparpillés dans toute la France, mais aussi 1 600 chantiers inachevés, à différents stades de leur construction. Environ 300 sont des maisons Phénix, les autres des pavillons traditionnels vendus chez Maison familiale ou Maison Castor, autres marques de Geoxia. Sur les réseaux sociaux, les clients s’affolent et, à la peur de se retrouver le bec dans l’eau avec des sommes importantes déjà engagées, s’ajoute un rêve d’accession à la propriété individuelle qui s’écroule.
Les associations de défense dans le secteur du logement tentent de les rassurer comme elles peuvent. «Le contrat de construction qu’ils ont signé comporte une garantie de livraison», rappelle Louis du Merle, directeur juridique de l’Association nationale d’information sur le logement, qui dispose d’antennes partout en France, et délivre des conseils gratuitement. «Le point d’ancrage, c’est l’intervention d’un huissier qui constate que les travaux n’ont pas été achevés», précise-t-il. Le garant, un assureur, doit prendre le relais du constructeur défaillant, et désigner une entreprise pour reprendre le chantier, dans les quarante-cinq jours après la liquidation. Ce qui veut dire que leur maison sera finie, mais sans doute dans des délais bien plus importants que prévu.
Dans trois mois, plus rien
Eloïse Lalande, présidente de l’Association d’aide aux maîtres d’ouvrage individuels, complète : «Il faut contacter les garants soi-même, ils sont noyés sous les demandes, et il vaut mieux ne pas perdre de temps.» La majorité des maisons en construction sont assurées chez Imhotep, la société d’assurance créée par Geoxia. L’avenir dira si elle a les reins assez solides financièrement pour tout couvrir. Elle n’est pas concernée par la liquidation judiciaire, mais a été placée sous administration provisoire, signale son site web. Malgré la liquidation, deux des usines Phénix continueront à fonctionner pendant trois mois, le temps de fournir le matériel nécessaire à la poursuite des chantiers. Après, plus rien.
Témoignages
Du côté des salariés, c’est évidemment la douche froide. «Jamais on n’a pensé que l’épée de Damoclès tomberait», confie l’un d’eux. Geoxia est constitué de plusieurs entités, dont Phénix métal industrie, qui compte les trois usines chargées de construire les éléments modulaires des maisons Phénix ; Phénix évolution, pour la partie extension d’habitation ; Geoxia MI (maisons individuelles), pour la construction des pavillons neufs. Le groupe a accusé une perte cumulée de 35 millions d’euros sur les années 2020 et 2021, selon la CFTC. Bilan des courses, les caisses sont vides et le plan social ne prévoit ni indemnités supralégales ni reclassement. «On ne peut pas valider ce plan de sauvegarde de l’emploi, c’est du basique de chez basique, c’est dur à digérer quand on a vingt à vingt-cinq ans d’ancienneté», soupire Fernando Cabete Neves, délégué central CFTC.
«Il fallait changer de cœur de cible»
Le groupe avait bien demandé un prêt garanti par l’Etat pendant le Covid, mais il n’y a pas eu droit. Il a ensuite souffert de l’envolée du prix des matériaux et des retards d’approvisionnement. Avec par exemple, une hausse de 32 % sur les ossatures et charpentes métalliques sur un an, fin avril. «Il n’est pas facile de répercuter sur son client final la hausse des prix. Il n’a pas forcément les moyens de débourser les 10 % de coût en plus, remarque-t-on à la Fédération française du bâtiment. Mais Geoxia reste un cas particulier, même si c’est un gros acteur. Dans l’immédiat, le secteur résiste.»
«Certes, il y a eu le Covid et la guerre en Ukraine, mais il y a aussi une responsabilité du management, affirme Thomas Pauly, de la CGT. Nous avons commencé à perdre de l’argent dès 2017.» A l’époque, les prêts à taux zéro ont été restreints : dans les zones à offre immobilière peu tendue, ils sont limités à un maximum de 20 % de l’achat en neuf pour les primo-accédants, principaux clients de Geoxia. «Dans le même temps, les banques ont serré la vis sur les crédits, note le syndicaliste CGT. Or, Geoxia ne gagne de l’argent que quand le chantier est ouvert, vous en perdez sur tout le travail en amont si vous avez un refus de prêt. Il fallait changer de cœur de cible, et viser la tranche moyenne. C’est ce virage-là qui n’a pas été pris», estime-t-il. Même analyse pour Fernando Cabete Neves, de la CFTC, qui ajoute : «Il y a quelques années, c’était quasiment une cause nationale, que tout le monde ait accès à sa petite maison.» Mais les temps ont changé : les pavillons individuels ont aujourd’hui moins la cote que la rénovation dans l’ancien avec des aides d’Etat.
Priés de retrouver du travail par eux-mêmes
Les syndicats ont pourtant été surpris qu’il n’y ait aucune proposition de reprise viable sur le nom des maisons Phénix, une marque forte, avec une histoire qui parle à beaucoup de gens. Les managers de Geoxia ont bien déposé une offre, sous condition d’un soutien de l’Etat de 72 millions d’euros. Mais Bercy n’a pas suivi, estimant qu’il n’avait pas à se substituer à un actionnaire. Celui de Geoxia, le fonds d’investissement LBO France, ne souhaitait pas remettre la main à la poche de son côté. La démolition de toute une histoire de la maison pour tous, née en 1945 sur les ruines de la guerre, était donc inéluctable. Au bout du compte, les anciens de Geoxia sont aujourd’hui priés de retrouver du travail par eux-mêmes, dans un secteur, le BTP, censé recruter à tour de bras, en tout cas chez les opérationnels. C’est beaucoup moins vrai pour les commerciaux. «Ce qui a le plus préoccupé les politiques, ce sont les chantiers, le rêve des gens qui s’écroule. Une vingtaine de salariés licenciés par département, ce n’est pas cela qui va détruire un territoire», regrette Thomas Pauly.