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Programmes 2022: à fond le fond

L’Etat actionnaire est de retour, même la macronie chante ses louanges

Programmes de la présidentielle 2022: à fond le fonddossier
Le quinquennat avait commencé par l’annonce d’une vague de privatisations, mais la crise sanitaire et le retour du besoin de souveraineté économique et énergétique ont changé la donne. Emmanuel Macron encourage désormais l’intervention de l’Etat au capital d’EDF et Air France : même le mot «nationalisation» n’est plus tabou.
Le président de la République, Emmanuel Macron et le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, le 16 septembre, à Paris. Pour la macronie, le vent des privatisations s’est brisé net sur la crise sanitaire. (Christophe Petit Tesson/Reuters)
publié le 26 février 2022 à 11h34

Française des Jeux, Aéroports de Paris, Engie… Qui se souvient que le mandat d’Emmanuel Macron a commencé par l’annonce d’une rafale de privatisations pour un montant espéré de 15 milliards d’euros, l’Etat n’ayant plus «vocation à diriger des entreprises concurrentielles», selon les explications données à l’époque par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire ? Un quinquennat plus tard et à quarante-trois jours du premier tour de l’élection présidentielle, l’Etat actionnaire fait de la résistance et le changement de ton est notable. «L’Etat français est et sera toujours au côté d’EDF, dont il est actionnaire à 83,9%», proclamait ainsi le 18 février ce même Bruno Le Maire en annonçant une recapitalisation d’urgence à hauteur de 2,5 milliards d’euros (dont 2,1 milliards sur fonds publics) de l’électricien, plombé par de gros soucis de corrosion sur son parc nucléaire et le fiasco du réacteur EPR de Flamanville. Idem pour Air France, dont l’Etat est actionnaire à 28,6 %, et à qui le ministre de l’Economie a promis le même jour une nouvelle perfusion d’argent frais dans le cadre d’une prochaine augmentation de capital.

Entretemps, l’Agence des participations de l’Etat n’aura cédé aux investisseurs privés que 52% du capital de la FDJ pour un peu plus de 2 milliards d’euros. Le vent des privatisations d’ADP et Engie (l’ex-GDF Suez) s’est brisé net sur la crise sanitaire. Et, par l’un de ces retournements pragmatique dont elle a le secret, la macronie semble avoir redécouvert les charmes de l’Etat stratège. Le «quoiqu’il en coûte», qui a vu la puissance publique voler au secours d’Air France, Renault et la SNCF à coups de milliards d’euros, est passé par là. Et Le Maire, qui expliquait il y a peu que l’argent bêtement immobilisé dans les entreprises publiques serait mieux utilisé à «investir dans l’avenir», s’est converti aux joies du dirigisme étatique. Au point d’envisager sans ciller la «nationalisation» totale d’EDF si le besoin s’en faisait sentir, comme le réclament la CGT, le PCF et Jean-Luc Mélenchon depuis des années !

Un portefeuille de 89 milliards d’euros

De circonstance après le traumatisme de la pandémie et fort opportun en période électorale, ce retour en grâce de l’Etat actionnaire est-il vraiment durable ? A gauche, certains candidats rêvent déjà de renationaliser non seulement EDF et l’ex-GDF, mais aussi les autoroutes pour annuler la rente concédée il y a vingt ans par la droite aux Vinci et autres Eiffage. A l’extrême droite aussi, où Marine Le Pen veut récupérer le contrôle des autoroutes pour baisser le prix des péages. La droite libérale n’est évidemment pas sur la même longueur d’onde : elle a privatisé à tour de bras à chaque fois qu’elle était aux affaires et pour elle le mot «nationalisation» est toujours synonyme de retour vers les kolkhozes…

Dans son programme économique, la candidate LR Valérie Pécresse propose ainsi, entre autres, de «céder toutes les participations minoritaires de l’Etat actionnaire» avec un «chiffrage en cours» de cette mesure. Entre Airbus, Orange, Total, Engie, Thales et autres Safran, cela risque de faire beaucoup de monde. Selon un récent rapport de la Cour des comptes, l’Agence des participations de l’Etat gérait ainsi un portefeuille d’actions de 89 milliards d’euros dans les grandes entreprises tricolores. Alors qui peut croire qu’un gouvernement doué de raison pourrait vendre d’un coup tous ses bijoux de famille par pure fixette idéologique ?

Historiquement, en France, le rôle de l’Etat actionnaire a toujours relevé d’une vision gestionnaire des plus raisonnables : celle du «bon père de famille». Au ministère de l’Economie, quel que soit le patron de Bercy, l’objectif est de gérer au mieux les participations publiques dans les grandes entreprises pour les faire fructifier, quitte à céder ponctuellement quelques paquets d’actions quand il s’agit de renflouer les finances de la nation. Mais, on l’a vu, la question est aussi éminemment politique : «Etat banquier» prompt à vendre des pans entiers de souveraineté et de services publics au nom de la réduction de la dette ? Ou «Etat stratège» bien décidé à renforcer sa mainmise sur les entreprises qui produisent les biens et services essentiels au bien public et au pays ? Privatisations ou nationalisations ? Deux logiques relevant du bon vieux clivage droite-gauche qui s’affrontent depuis au moins, allez, Guizot et Louise Michel, la Commune et les Versaillais. On croyait la partie définitivement pliée depuis la victoire d’Emmanuel Macron. Mais voilà que la crise sanitaire a rebattu totalement les cartes en révélant au grand jour les failles tragiques du désengagement de l’Etat.

Doctrine «obsolète»

La question mérite un débat à la hauteur pour cette présidentielle. Mais pour l’heure, les principaux candidats tardent singulièrement à s’en saisir au-delà du cas EDF, mis sous les projecteurs de l’actualité par la crise énergétique et la volonté d’Emmanuel Macron de relancer le nucléaire avec la construction d’au moins six nouveaux réacteurs EPR. Dans un récent rapport sur «la gestion des participations financières de l’Etat durant la crise sanitaire», la Cour des comptes constate que la pandémie a coûté entre 15 et 20 milliards d’euros à l’Etat actionnaire, entre intervention en capital et dépréciations du portefeuille.

Rien de dramatique à ce stade. Mais les comptables de la rue Cambon s’inquiètent des énormes besoins futurs de financement de grandes entreprises comme EDF ou Renault. Et ils appellent la puissance publique à «mettre à jour» une doctrine de l’Etat actionnaire jugée «obsolète». Dans quel sens, celui d’un désengagement ou d’un renforcement ? Cela, la Cour ne le dit pas, laissant le soin au futur président de la République d’en décider. Si c’est encore Macron, il y a fort à parier que l’on aura droit à du «en même temps», notamment avec EDF dont le parc nucléaire sera nationalisé à 100%, tandis que l’activité de distribution Enedis sera livrée aux appétits du marché comme le prévoyait le projet «Hercule», mis sur pause par l’Elysée mais pas enterré.