L’affaire n’est pas entendue. La société de gestion H2O a annoncé ce mercredi matin qu’elle allait déposer un recours devant le Conseil d’Etat contre l’amende record de 93 millions d’euros infligée la veille par l’Autorité des marchés financiers (AMF), qu’elle «conteste vigoureusement. «La sanction est disproportionnée au regard du dossier» et «aucune erreur intentionnelle n’a été commise», se défend dans un communiqué le gestionnaire d’actifs, à qui le gendarme boursier reproche notamment la violation des règles de protection de l’intérêt des investisseurs.
Mardi, la Commission des sanctions de l’AMF avait décidé de sanctionner H2O et ses deux fondateurs, estimant que l’entreprise avait contrevenu aux règles de protection des intérêts de ses clients. Résultat : une amende record de 75 millions d’euros pour la société britannique détenue encore en partie par la banque française Natixis, 15 millions d’euros pour Bruno Crastes, son directeur général, et 3 millions d’euros pour Vincent Chailley, directeur des investissements. L’AMF avait souligné «la gravité des manquements», «l’implication des dirigeants dans la commission de ceux-ci» ainsi que le «préjudice subi par les investisseurs résultant en particulier du blocage de leur épargne».
La Commission des sanctions de l’AMF a ainsi suivi pratiquement en tout point les réquisitions prises lors d’une séance publique fin novembre. Seule nuance, Bruno Crastes ne se voit pas interdire d’occuper des fonctions de dirigeant et de gérant de fonds en France et dans l’Union européenne pendant dix ans, comme requis, mais pendant cinq ans. Suite à cela, l’investisseur a quitté son poste mais «reste au sein de la société en tant que directeur de la stratégie ‘‘corporate’’ et marchés», a annoncé H2O.
«Défaut de liquidité»
L’amende est d’un montant sans précédent. La plus lourde jusqu’alors (35 millions d’euros) avait été prononcée à l’encontre de Natixis en 2017. Elle avait été ramenée par le Conseil d’Etat à 20 millions d’euros. Cette sanction record marque une nouvelle étape dans le feuilleton de H2O, gérant d’actifs aux performances exceptionnelles avant qu’il ne chute brutalement à partir de 2019 à la suite d’un article du Financial Times mettant en doute la qualité de certains des placements proposés.
En cause notamment : les investissements conséquents dans la holding financière Tennor, liée à l’homme d’affaires allemand controversé Lars Windhorst. L’épargne de certains investisseurs dans H2O était dirigée à «plus de 10 %» sur la dette de Tennor, ce qui ne respecte pas le «ratio d’investissement» des sociétés de gestion, a relevé l’AMF.
L’autorité a pointé «le défaut de liquidité» de ces placements, le fait qu’ils «n’entraient pas dans le cadre de la politique d’investissement fixée par les prospectus des fonds» gérés par la société H2O et que cette dernière ne disposait pas «d’informations suffisantes» pour investir «de manière fiable». Résultat : plusieurs des fonds d’H2O, représentant 1,6 milliard d’euros à l’automne 2020, ont été bloqués et les épargnants lésés n’ont à ce jour toujours pas pu récupérer leur mise. H2O a indiqué mardi, avant la publication de la sanction, qu’elle allait rembourser «dans les prochains jours» une première partie des fonds bloqués, mais sans préciser les montants.
Un chemin de croix judiciaire
Lors de la séance de la Commission des sanctions, la défense avait fait part de sa «sidération», estimant que les réquisitions étaient «disproportionnées». «Il n’y a ni fraude, ni même allégation de fraude, ni manipulation, aucune dissimulation, ni malversation, ni enrichissement personnel sur le dos des porteurs, même pas une faute volontaire», avait-elle plaidé.
La sanction de l’AMF n’est peut-être qu’une première étape sur un chemin de croix judiciaire pour H2O, également visée par une enquête du gendarme des marchés britannique. En France, une association regroupant plus de 3 000 épargnants lésés, le Collectif Porteurs H2O, a également annoncé son intention d’assigner en justice la société devant le tribunal de commerce ou d’instance.
Réagissant à la sanction prononcée par l’AMF, cette association s’est «félicitée de cette sanction et notamment des griefs retenus, clairs et circonstanciés». Elle a annoncé son intention de «déposer une assignation contre H2O AM en mars 2023 en vue de la réparation du préjudice subi».
Mise à jour : mercredi à 10 h 47, avec l’ajout de la décision de H20 de porter l’affaire devant le Conseil d’Etat.