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Liberté de la presse

A la soirée des ex-grévistes du «JDD» : «Des gens qui ont sacrifié leur boulot pour des valeurs»

L’ex-rédaction de l’hebdomadaire bollorisé organisait lundi 9 octobre au théâtre du Châtelet à Paris une «Nuit de l’indépendance» durant laquelle le collectif de journalistes a officialisé sa nouvelle association, Article 34.
Le 10 octobre, lors de «la nuit de l'indépendance pour une presse libre !», organisée par les ex-journalistes du «JDD» au théâtre du Châtelet. (Albert Facelly/Libération)
publié le 10 octobre 2023 à 12h03

«On n’a pas touché terre depuis cet été. Ce sera l’occasion d’ouvrir une nouvelle page. De souffler, même si on part chacun dans différentes rédactions.» Quelques jours avant l’événement, Juliette Demey, l’ancienne coprésidente de la Société des journalistes (SDJ) du JDD, livrait à Libération le but intime de la «Nuit de l’indépendance pour une presse libre». La soirée, organisée par les ex-salariés de l’hebdomadaire d’Arnaud Lagardère, se déroulait lundi 9 octobre au soir sur la scène du somptueux Théâtre du Châtelet à Paris, prêté pour l’occasion par son directeur Olivier Py.

Il s‘agissait de redonner une nouvelle vigueur au mouvement après la grève de 40 jours des salariés du Journal du dimanche, une courageuse mobilisation achevée début août sur un échec, avec l’entrée en fonction de l’ancien directeur du magazine d’extrême droite Valeurs Actuelles, Geoffroy Lejeune. Il s’agissait aussi d’officialiser leur nouveau statut d’association sous le nom d’Article 34 (l’article de la Constitution qui garantit «la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias»), avec la présence sur scène des quelque 90 journalistes du JDD ayant quitté l’entreprise, chaudement applaudis. Et il s’agissait enfin de se réunir pour clore, au bout de la nuit, la première partie d’un combat commencé fin juin.

«C’est notre fierté»

«Ce sont des gens qui ont sacrifié leur boulot pour des valeurs et qui se retrouvent pour la plupart à Pôle Emploi», racontait avant l’événement l’autre coprésident de la SDJ du JDD et organisateur de la soirée, Bertrand Gréco. Ça méritait d’être célébré, alors lundi soir, s’adressant aux spectateurs venus en nombre, avec la foule des journalistes sur scène, il l’a répété : «Devant vous, personne n’a souhaité travailler sous la nouvelle direction, et c’est notre fierté.»

Au milieu des concerts (Albin de la Simone, Terrenoire ou Léonie Pernet), des sketchs d’humoristes (Lison Daniel, Guillaume Meurice, Nicole Ferroni et Laura Domenge), des lectures de textes d’auteurs (Nicolas Mathieu par Nicolas Maury, Aurélien Bellanger par Emmanuel Salinger ou un extrait de 1984 de George Orwell par Anna Mouglalis), ou du show apparemment très attendu de la finaliste de Drag Race France Sara Forever, deux prises de parole ont remis le débat sur l’indépendance de la presse au centre de la soirée. Sous l’œil de Christophe Deloire, délégué général des Etats généraux de l’information, un grand débat national ouvert un peu moins d’une semaine auparavant, et où la question devrait être abondamment discutée.

«Rima Abdul-Malak avait théâtre ce soir, mais pas celui-ci»

La discussion s’est ouverte avec quatre journalistes appartenant aux bureaux de SDJ de médias ayant un droit de vote sur le directeur de leur rédaction (Libération, le Monde, les Echos, Mediapart). La prise de parole, animée par le streamer politique Jean Massiet, a permis de prendre des nouvelles des débats internes aux Echos, dont la rédaction a rejeté, le 28 septembre, le nom de François Vidal soumis par leur actionnaire LVMH pour prendre la tête du quotidien économique. Modéré par l’économiste des médias Julia Cagé, le débat s’est poursuivi avec trois députés soutenant la proposition de loi transpartisane (déposée par l’élue Génération. s Sophie Taillé-Pollian) contre la concentration des médias et pour l’indépendance des rédactions.

Julia Cagé s’est attirée quelques huées en évoquant l’absence de la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak. «Elle avait théâtre ce soir, mais pas celui-ci», a lancé l’économiste (1), qui a noté une autre absence, celle d’Emmanuel Macron, qui a préféré inaugurer le matin même la Maison Jean-Pierre Elkabbachpas franchement un modèle de déontologie – soit le nouveau nom du siège de France Télévisions rejeté par les syndicats et la SDJ en interne. D’autres huées du public ont accueilli les prises de parole des députés Violette Spillebout (Renaissance) et Jérémie Patrier-Leitus (Horizons), pourtant engagés en faveur de la proposition de loi qui donnerait un droit de vote aux rédactions. Une bronca comme un signe, s’il en fallait encore un, que protéger l’information, ça urge.

(1) Rima Abdul-Malak était en réalité en déplacement à Hambourg lundi soir, avec le président de la République, et avait prévenu les journalistes du JDD de son absence.