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A Radio France, l’investigation menacée après l’arrêt de «Secrets d’info» en hebdo

Dans une lettre ouverte adressée à la PDG Sibyle Veil, la cellule investigation de la radio publique s’est émue jeudi 26 juin des changements dans le magazine d’enquête qui ne sera plus diffusé chaque samedi sur France Inter.
Auparavant hebdomadaire, «Secrets d'info» reviendra une fois par mois, dans la case de l’émission de grands reportages du dimanche «Interception». (Jean-Marc Barrere/Hans Lucas.AFP)
publié le 27 juin 2025 à 17h27

Dans une lettre adressée jeudi 26 juin à la présidente de Radio France, Sibyle Veil, les journalistes de la cellule investigation de Radio France s’inquiètent de l’arrêt de la version hebdomadaire de l’émission Secrets d’info sur France Inter. La directrice de l’information, Céline Pigalle, a ainsi indiqué ces derniers jours à la cellule que leur magazine d’investigation d’une demi-heure, diffusé tous les samedis, ne sera plus hebdomadaire. A la place, il reviendra une fois par mois désormais, dans la case de l’émission de grands reportages du dimanche Interception, qui sera désormais incarnée par Fabienne Sintes (cette dernière conserve aussi l’animation du 18/20).

Une décision qui révolte donc la cellule investigation de Radio France : «La décision de faire passer Secrets d’info d’une diffusion hebdomadaire à un rythme mensuel ne saurait être considérée comme un simple ajustement de grille, écrivent-ils à Sibyle Veil dans ce texte consulté par Libération. Ce changement constitue un affaiblissement clair de la seule émission d’investigation du service public de la radio.»

Les journalistes signataires rappellent dans cette lettre le travail de la cellule investigation dirigée par Jacques Monin, puis par Benoît Collombat, depuis dix ans, notamment ses révélations «sur les airbags Takata, l’Abbé Pierre, les assistants parlementaires du Modem ou la fraude aux eaux minérales Nestlé». «Le service public a le devoir de garantir aux auditeurs un rendez-vous d’investigation par semaine, ajoutent les membres de la cellule investigation. Sa quasi-disparition envoie un signal aux auditeurs qui va porter préjudice à la crédibilité de l’ensemble des rédactions de Radio France. La remise en cause de l’investigation ne pourra pas être perçue autrement que comme la preuve empirique que les journalistes du service public ne peuvent plus enquêter librement.»

Clause de revoyure à l’automne

En interne, la cellule composée de cinq journalistes est soutenue par les Sociétés de journalistes et les syndicats de Radio France. «Cela relance nos velléités de motion [de défiance]», souligne ainsi un syndicaliste. En face, Céline Pigalle a expliqué sa décision au Nouvel Obs : «Les journalistes sont tellement dévorés par l’émission qu’ils n’ont pas toujours la capacité de prendre à bras-le-corps des sujets qui surgissent dans l’actualité, qui s’imposent, car ils doivent nourrir Secrets d’info.»

Face aux craintes des journalistes d’être alors absorbés cette fois par l’actualité, Pigalle assure qu’elle ne laissera pas «les rédactions les appeler en urgence du jour pour le lendemain» : «Je suis garante du fait que leur temps pour faire des enquêtes sera préservé. J’estime qu’il faut aussi avoir du temps pour chercher… sans toujours trouver. Je vais leur proposer une clause de revoyure à l’automne pour regarder, ensemble, comment fonctionne cette nouvelle configuration.»

Nouvelle atteinte à un marqueur d’indépendance

Enfin, sur les craintes pour la place de l’investigation à Radio France, alors que l’audiovisuel public reste le principal endroit du PAF à investir dans des enquêtes, notamment sur les pouvoirs politique ou économique, Céline Pigalle rétorque que sa décision ne traduit «pas du tout une reprise en main. Si je voulais cacher l’investigation, je ne ferais pas cela».

Reste que du côté des salariés de France Inter, on voit d’un mauvais œil cette nouvelle atteinte à un marqueur d’indépendance, l’investigation, après la réduction ces dernières saisons de la place accordée à l’antenne à d’autres marqueurs historiques de la station, comme la satire politique ou aux luttes écologistes. D’autant que cette décision intervient à deux ans d’une nouvelle élection présidentielle, et dans le contexte d’une réforme de l’audiovisuel public en débat à l’Assemblée nationale à partir de ce lundi 30 juin.