Regrouper les services sciences, santé et environnement de France Inter, France Info et France Culture. C’est peu dire que le projet, présenté par la direction de Radio France le 27 février lors d’un Comité social et économique (CSE), a provoqué une hostilité quasi généralisée dans les rédactions concernées. La crainte : une fusion complète, à terme, des rédactions et une uniformisation de l’information. Ce mardi 12 mars, à la suite d’une assemblée générale sur le sujet, une centaine de journalistes des trois antennes a ainsi voté en faveur d’une grève, à l’appel des sociétés de journalistes, et des syndicats SNJ et SNJ-CGT, le 26 mars, veille du CSE central de Radio France. «On porte cette colère avec ce préavis de grève, pour essayer de faire comprendre à notre direction et à la présidente de Radio France qu’ils font fausse route», explique Lionel Thompson, délégué syndical SNJ-CGT.
La mesure de service transverse, issue du projet stratégique 2024-2028 de la direction de Radio France, concernerait quinze journalistes, et suivrait le modèle déjà appliqué ces dernières années aux services sports, international et investigation. Le projet pourrait, en outre, intégrer aussi une partie du service économie, avec les rubricards qui traitent des questions d’énergie ou de transports. A France Inter, la Société des journalistes a fait savoir d’emblée, le 27 février, son mécontentement dans un communiqué : «A notre sens, ce projet ne peut qu’être perçu comme une nouvelle étape d’un démantèlement de la rédaction de France Inter que nous contestons.» Le lendemain, le directeur de l’information, Jean-Philippe Baille, venu tenter de calmer le jeu, a été accueilli froidement. Selon le Monde, le directeur de l’information de France Inter Marc Fauvelle et les présentateurs de la matinale Léa Salamé et Nicolas Demorand ont notamment fait savoir leur désapprobation.
«La création de ce qui s’apparente à une usine à gaz»
Le vendredi 1er mars, c’est la PDG de Radio France Sibyle Veil qui a tenté de rejustifier le projet dans un comité rassemblant les chefs de service des différentes antennes. L’argument ? «Il faut que le groupe devienne une référence en termes d’information sur la transition écologique et la santé», a-t-elle fait savoir, selon un témoin. Une ambition déjà inscrite dans un manifeste à la rentrée 2022, baptisé «le Tournant», et visant notamment à renforcer le traitement des sujets environnementaux par Radio France. La formation de ce service transverse constituerait alors une deuxième étape de ce projet.
En réponse, la section SNJ de Radio France écrivait dans un communiqué le 8 mars que «si des synergies entre les chaînes sont possibles, si une meilleure coordination est évidemment envisageable, si un renforcement des moyens sur ces sujets est souhaitable, si une montée en compétences avec davantage de formations est toujours bienvenue, cela ne peut passer par la création de ce qui s’apparente à une usine à gaz». La semaine passée, les sociétés de journalistes des trois antennes ont également rencontré Jean-Philippe Baille et la directrice des programmes Laurence Bloch pour tenter d’enlever le principe de «service transverse» du projet stratégique, et le remplacer notamment par un renforcement des synergies. Sans succès.
Une «BBC à la française»
En interne, certains craignent ainsi de voir dans ce projet de regroupement partiel une nouvelle étape vers la fusion complète des rédactions, bien que la direction de Radio France s’en défende. Avec à la fin, la formation d’une newsroom unique qui servirait les différentes antennes, gommant leurs spécificités. La double casquette de Jean-Philippe Baille, à la fois directeur de l’information de tout Radio France depuis septembre, tout en restant directeur de France Info, pose notamment question : «On ne veut pas entrer dans la guerre des antennes, mais avec ce projet, France Info, une antenne très gourmande en sujets, aurait tout à y gagner, explique un membre de la SDJ de France Inter. Ce serait elle qui passerait les premières commandes. Les autres antennes seraient affaiblies sur l’information, et deviendraient surtout des chaînes de programmes.»
Contactée, la direction de Radio France explique que le projet de service transverse a pour intention «de renforcer encore plus l’expertise de l’info de service public sur ces thématiques très sujettes à la désinformation. [...] Le service public est et doit rester une référence sur ces questions. Toutes les évolutions que nous envisageons vont dans ce sens.» Par ailleurs, la direction de la radio publique indique vouloir faire de ce projet une «construction collective» : «Nous partageons les points d’attention exprimés sur le maintien de la spécificité du traitement éditorial des chaînes. Maintenant, la meilleure manière de concevoir le projet est de venir en discuter.»
Après le rapprochement déjà annoncé de France Bleu et France 3 sous la marque ICI, ce projet de service transverse à Radio France dessine en tout cas une autre fusion par le bas dans l’audiovisuel public. Le contexte s’y prête : la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, a appelé fin janvier au regroupement de France Télévisions, Radio France et consorts au sein d’une même entité pour donner lieu à une «BBC à la française». Et le budget de Radio France s’est par ailleurs vu raboté de 4,5 millions d’euros sur les 15 millions initialement prévus dans son projet de transformation, après les coupes budgétaires décidées fin février par Bercy.
Mise à jour 12/03 à 19 heures avec la réponse de la direction de Radio France.