Il y a des traditions qui perdurent à l’Humanité. Comme celle d’avoir, à sa tête, un parlementaire. C’est le cas du sénateur communiste Fabien Gay, qui a repris les rênes du journal depuis 2021 à l’ancien député européen Patrick Le Hyaric, devenant le huitième directeur de l’Huma depuis Jean Jaurès. «Un directeur politique, comme se définissait mardi l’élu de Seine-Saint-Denis lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes médias (AJM), ce qui me permet d’écrire dans le journal et d’être humblement éditorialiste.» Mais un journal vit aussi de ses nouveautés. Et c’est toute une phase de modernisation numérique du titre qui a été lancée depuis la mise en place de cette nouvelle direction il y a trois ans, avec aussi la nomination d’Anthony Daguet comme secrétaire général, un poste plus en prise avec la rédaction.
Le billet de Thomas Legrand
Mot d’ordre : «déringardiser l’Humanité» en le rendant visible sur Internet, ou en profitant de la réussite de la Fête de l’Huma, dont Fabien Gay était précédemment directeur. Le projet semble porter ses fruits. Les dirigeants du journal, qui fête ses 120 ans cette année, revendiquent ainsi actuellement 40 000 abonnés (dont la moitié souscrivent uniquement à l’édition papier), alors qu’ils étaient plus proches des 30 000 en 2019 selon les données de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM). Une bonne forme qui suit la mise en place d’une «révolution numérique» il y a un an, avec notamment une nouvelle application et un nouveau site, qui ont eu des répercussions positives sur les audiences du site et le nombre de followers sur les réseaux sociaux.
«L’Huma Stream»
La révolution continue puisque le 20 novembre, l’Humanité inaugurera sur Twitch une émission politique de trois heures avec youtubeurs et humoristes, qui reviendra deux fois par semaine. De quoi marquer le lancement en bonne et due forme de la chaîne du quotidien baptisée «L’Huma Stream», après une première étape à l’occasion de la dernière Fête de l’Huma en septembre. Des émissions avec Guillaume Meurice ou l’équipe de Backseat, le programme de Jean Massiet, avaient alors permis de faire connaître la chaîne qui cumule déjà 5 000 abonnés. Des investissements ont été réalisés pour cette arrivée sur Twitch, avec la création d’un studio à hauteur de 50 000 euros, et la mise en place d’une équipe vidéo et réseaux sociaux ces derniers mois.
Economiquement, si l’Humanité est désormais à l’équilibre selon ses dirigeants, le journal s’est relevé d’un redressement judiciaire en 2019, avec la mise en place d’un plan de continuation financé notamment grâce à des dons. La propriété du quotidien se divise aujourd’hui à un peu plus de 50 % entre diverses entités, société des lecteurs, société des personnels, société des amis du journal, tandis que l’autre moitié est détenue par des actionnaires individuels, des dirigeants (Fabien Gay détient environ 10 % des actions par exemple) et des anciens responsables du journal ou du Parti communiste. Là-dedans, les donations comptent toujours pour deux millions d’euros par an dans l’économie de l’Huma et ses 30 millions de dépenses annuelles. «L’objectif, c’est de diminuer notre dépendance aux dons», fait savoir le secrétaire général Anthony Daguet. L’Huma compte aussi sur les aides à la presse accordées par l’Etat, pour 6 millions d’euros au total, dont 3 millions d’aides dites «au pluralisme» accordées aux titres aux faibles revenus publicitaires (comme la Croix ou Libération). La pub représente ainsi un million d’euros des revenus annuels du quotidien.
«Différence de traitement»
A ce sujet, les dirigeants de l’Humanité se sont ainsi plaints d’un «ostracisme» de la part des annonceurs, et en particulier de l’Etat. «Cinq titres se partagent 65 % des publicités gouvernementales, a affirmé Fabien Gay. Pour nous, cela ressemble à des subventions déguisées. On dénonce alors une différence de traitement. Le patron de Rolex, il fait bien ce qu’il veut, mais les pubs gouvernementales, c’est différent.» Et de citer des campagnes pour la vaccination ou la sécurité routière pour lesquelles l’Humanité serait systématiquement oubliée par la communication gouvernementale, ou concernant les élections professionnelles dans les TPE et PME, alors que le journal profite d’un important lectorat dans les milieux syndicaux. Pour ce qui est des annonceurs du privé, les dirigeants de l’Huma ont une idée : taxer à hauteur de 1 % les transactions publicitaires, notamment celles qui concernent la télévision ou les plateformes numériques, et reverser cela dans un fonds destiné aux titres de presse à faibles revenus publicitaires.
Sinon, pour se développer, outre les abonnements numériques – les dirigeants visent entre 45 000 et 50 000 abonnés au total dans les trois ans –, le titre peut compter sur la Fête de l’Huma. Le rendez-vous de septembre a encore rassemblé 450 000 visiteurs lors de sa 89e édition et permis de dégager 1,5 million de recettes. L’Humanité, qui compte 157 salariés au total avec ceux qui travaillent sur la Fête, souhaite développer ce volet événementiel avec d’autres rendez-vous en régions, comme c’est déjà le cas à Rouen, le 16 et 17 novembre prochain, avec la 20e édition de sa déclinaison normande. Et pourquoi pas, à terme, faire rentrer la Fête de l’Huma au patrimoine immatériel de la France, voire de l’Unesco. «On y travaille», indique Fabien Gay.