Vice France, c’est fini. Endroit numérique à part dans l’univers médiatique français, brassant les genres entre papiers décalés et sérieux, drôles et engagés, le pure-player baisse le rideau après 15 ans d’existence. «Triste de l’écrire, mais c’est la fin de Vice France. Le bureau va fermer d’ici fin mars […] Fier d’en avoir été le rédacteur en chef pendant 5 ans, accompagné de personnes super», a annoncé sur Twitter lundi son rédacteur en chef Paul Douard.
Je pense particulièrement à la rédaction, journalistes permanents et pigistes avec qui j’ai eu le plaisir de bosser toutes ces années. Heureux d’avoir découvert des pépites, de moi aussi avoir donné une chance à certain(e)s qui aujourd’hui continuent leur route et sont des amis.
— Paul Douard (@Paulo_Douard) February 27, 2023
L’expérience Vice, c’était à la fois lire le témoignage d’une star du X durant l’âge d’or du porno, tomber sur un papier nous expliquant le vrai du faux de l’exorcisme, appréhender la maladie d’Alzheimer sous le prisme des moins de 50 ans, ou encore plonger dans la bataille de Bakhmout, ville ukrainienne dévastée par la guerre. Son rédacteur en chef décrit «un média avec un ton, une liberté et des choix audacieux», «quelque chose de rare aujourd’hui».
Décision de la maison mère américaine
Cette annonce pose la question du devenir des médias 100 % web, ceux qui ont parié il y a une dizaine d’années sur l’information en ligne lorsque personne n’y croyait. Elle intervient quelques mois seulement après l’arrêt d’un autre pure-player subversif, Brain Magazine. Selon la journaliste Justine Reix, également responsable de la rubrique société de Vice, «la maison mère américaine a décidé de mettre fin à la branche française comme d’autres pays ces dernières années».
Une fermeture qui s’inscrit dans un contexte global difficile pour Vice Media. La PDG Nancy Dubuc a annoncé vendredi à ses équipes quitter son poste après cinq ans à la tête de l’entreprise, selon CNBC. Vice est sur le marché depuis des mois, avec une valorisation estimée autour du milliard de dollars, bien loin des 5,7 milliards de dollars (environ 6 milliards d’euros) que le média valait en 2017, à son plus haut. Une première tentative de rachat par l’entreprise de médias grecque Antenna Group a également récemment échoué.
Pour l’ancien rédacteur en chef adjoint, Louis Dabir, le média a été «très mal exploité par les dirigeants américains et anglais, enchaînés par leurs œillères et leur condescendance».
Mais pas que. A une époque, la direction française (qui je l'espère se reconnaîtra) a tenté de tout détruire. Fort heureusement, les équipes en place en France se sont serrées les coudes, ont cravaché avec les maigres moyens mis à leur disposition pour faire le job.
— Louis Dabir (@louisdabir) February 27, 2023
«Mais pas que. À une époque, la direction française (qui je l’espère se reconnaîtra) a tenté de tout détruire. Fort heureusement, les équipes en place en France se sont serrées les coudes, ont cravaché avec les maigres moyens mis à leur disposition pour faire le job», a ajouté le journaliste sur Twitter. En mai 2018, Libération avait d’ailleurs enquêté sur la stratégie de la nouvelle direction, entre publirédactionnels cachés, omniprésence des annonceurs et mal-être de certains journalistes à cette époque.
A lire
En plus des 30 salariés du bureau français licenciés, la disparition de Vice laisse sur le carreau de nombreux journalistes travaillant à la pige. «Quand j’ai commencé dans le journalisme, Vice a été le premier média à m’ouvrir ses colonnes», témoigne une journaliste sur Twitter.
«Vice a été mon premier pied à l’étrier. Ma toute première pige rémunérée alors que j’étais en école, c’était ce média ouvert aux propositions de tous, même ceux qui n’avaient pas la formation adéquate, du moment que l’idée était bonne on nous laissait une chance», a de son côté rappelé Justine Reix. Qu’on ait aimé ou non Vice, son débranchement imminent entraîne la fin d’une époque et le début d’une certaine nostalgie pour ses lecteurs.
Mise à jour 27/02 à 16h50 : ajout de contexte sur la situation de Vice Media.