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Mobilisation

Au rassemblement contre la fusion de l’audiovisuel public : derrière les sourires, la crainte de la casse sociale

Plusieurs centaines de salariés des rédactions du service public étaient mobilisées devant le ministère de la Culture ce jeudi 23 mai. Ils expriment leur inquiétude face au projet de holding «France Médias» voulu par le gouvernement, qu’ils perçoivent comme aussi inutile que dangereux.
Des salariés et travailleurs précaires se sont rassemblés à Paris jeudi 2023, devant le ministère de la Culture, pour dénoncer la loi sur la fusion de l'audiovisuel public. (Cha Gonzalez/Libération)
par Alexandre Lecouvé, AFP et photo Cha Gonzalez
publié le 23 mai 2024 à 20h02

Place Colette, dans le Ie arrondissement, la foule se presse ce jeudi 23 mai en face de l’imposant Palais-Royal qui abrite, entre autres, le ministère de la Culture. «Ravie de faire une manif !» lance, guillerette, Charline Vanhoenacker à une consœur. Sous le ciel bleu, la chroniqueuse et humoriste de France Inter s’est placée en périphérie du rassemblement contre le projet de fusion des médias de l’audiovisuel public. Plusieurs centaines de personnes sont présentes.

L’ambiance joyeuse du moment est d’abord favorisée par l’ampleur du mouvement de grève qui a cours ces jeudi et vendredi 24 mai. «Le gouvernement a réussi à créer contre lui la première intersyndicale de tout l’audiovisuel public», affirme au micro la déléguée CFDT de France Médias Monde Raphaël Reynes.

La plupart des organisations syndicales représentatives des salariés de Radio France, France Télévisions, France Média Monde, l’Institut national de l’audiovisuel et TV5 Monde se sont massivement mobilisées. Le Syndicat national des journalistes (SNJ) annonce sur X un taux de gréviste de 72 % à Radio France ce jeudi matin. Les programmes des chaînes et des radios sont largement perturbés, et certains sites web ne produisent quasiment plus rien, comme le site de France Info, qui compterait, selon l’élue SNJ Mathilde Goupil, 88 % de grévistes. La direction de France Télévisions évoque un chiffre de 12 % à l’échelle du groupe (direction et ressources humaines incluses donc).

L’annonce en amont de la manifestation du report de l’examen du texte de loi de fusion par l’Assemblée nationale, qui devait avoir lieu le jour même, rassure aussi les manifestants, et permet de «gagner du temps», selon le délégué syndical CGT à France 3 Normandie Danilo Commodi.

Sophie Binet et Olivier Serva passent une tête

La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, venue en début de rassemblement pour marquer son soutien au mouvement, y voit même «clairement une première victoire», même si l’Assemblée justifie ce report par un calendrier parlementaire surchargé. «Ça montre que la grève sert à quelque chose, que ça a fait bouger les lignes, il faut continuer», veut croire la dirigeante syndicale, qui exalte le «besoin de média public» face à l’influence de «quelques milliardaires». Une position reprise par la députée LFI Sarah Legrain, qui veut profiter du report «pour faire durer cette mobilisation».

Egalement de passage plus tard dans l’après-midi, le député de Guadeloupe et membre du groupe Liot Olivier Serva a déclaré à la foule son soutien au mouvement, et chargé auprès de Libé la stratégie de l’exécutif : «Après la Nouvelle-Calédonie, je pense que le gouvernement serait bien inspiré d’écouter la respiration démocratique. On ne peut pas aller tout le temps contre une majorité.» Il dénonce les risques de «casse sociale, de la casse éditoriale et de la casse journalistique», causés par la volonté de «faire des économies pour faire des économies».

L’angoisse des plans sociaux

Pour la ministre de la Culture, Rachida Dati, ce projet de holding pour 2025 et de fusion de l’audiovisuel public pour 2026 permettrait de créer «une BBC à la française». Face à cette ambition, deux journalistes mobilisés montrent sur leur téléphone un article de Libération sur la décrépitude actuelle du radiodiffuseur britannique… Alors même que les audiences des médias publics se portent bien, ce qui emmène tous les manifestants à qualifier la réforme d’«inutile». Véritable tremplin politique pour la ministre – qui vise les élections municipales 2026 de Paris –, elle serait surtout motivée par la volonté de faire des économies sur des rédactions qui produiraient des contenus trop similaires aux yeux du pouvoir politique. Mais pour Mathilde Goupil, «la pluralité n’est pas une redondance, ni un bourrelet qu’il faudrait effacer. C’est la force du service public».

A l’enthousiasme du report par l’Assemblée, succède cependant rapidement la peur de l’avenir. «Le combat va être long», analyse, lucide, Patricia Blettery, élue CGT au comité d’entreprise de France Médias Monde. «Il va falloir convaincre les députés de l’incongruité de ce projet qui tire à la fois les contenus et le travail vers le bas.» La journaliste de RFI a déjà connu la création d’une holding entre sa radio et France 24, en 2009. Là aussi, les pouvoirs publics avaient mis en avant des besoins d’économies et de «synergies». Elle en garde le souvenir douloureux d’une casse sociale, de deux plans de départ volontaire et «beaucoup de suppressions de postes». Avec l’angoisse que les mêmes causes reproduisent les mêmes effets.