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Canal + annonce retirer ses quatre chaînes payantes de la TNT

Canal et Vivendi à l'ère Bollorédossier
Affichant notamment la manœuvre comme un signe de protestation contre le non-renouvellement de la fréquence de C8 par l’Arcom, le groupe détenu par Vincent Bolloré annonce ce jeudi 5 décembre le retrait de Canal +, Canal + Cinéma, Canal + Sport et Planète de la TNT.
Photo d'illustration. (JAKUB PORZYCKI/NurPhoto via AFP)
publié le 5 décembre 2024 à 18h38

Une menace longtemps agitée ces dernières années, et finalement mise en œuvre. Le groupe Canal + a annoncé ce jeudi 5 décembre le retrait à partir de juin 2025 de ses quatre chaînes payantes sur la TNT (Canal +, Canal + Cinéma, Canal + Sport, Planète), en réaction notamment, selon le groupe, au non-renouvellement de la fréquence de C8. «Tirant les conséquences du retrait de la chaîne C8, première chaîne de la TNT, par l’Arcom et d’un environnement fiscal et réglementaire de plus en plus contraignant pour le groupe en France, Canal + annonce le retrait de ses chaînes payantes de la TNT», indique un communiqué du groupe.

Une posture de communication ? Car la décision intervient surtout à quelques jours d’une assemblée générale critique pour Vivendi, le groupe détenu par Vincent Bolloré dont Canal + est une filiale. Lundi 9 décembre, les actionnaires devront se prononcer sur un projet de scission de Vivendi en plusieurs entités, qui seraient cotées sur différents marchés européens. Canal + serait alors coté à Londres, à partir du 16 décembre. Comme l’a noté les Jours, la décision a aussi le mérite de rendre le groupe plus attrayant pour cette mise en bourse, en se délestant de chaînes onéreuses en coûts de diffusion et soumises à différentes obligations.

Redressement fiscal

Car au-delà du cas C8, qui devra dire adieu à sa fréquence le 28 février prochain, le communiqué cite deux autres motifs récents d’insatisfaction de Canal +. Une augmentation présumée de sa taxe versée au CNC (Centre national du cinéma) d’abord. Une affirmation démentie par Olivier Henrard, président par intérim du CNC, dans le Monde, pour qui «les taux, progressifs, n’ont connu aucune évolution». Bien qu’il existe un contentieux : selon l’Informé, le CNC réclamerait à Canal + 44 millions d’euros de taxe non versée sur les années 2020 et 2021. Mais c’est surtout la menace de redressement fiscal qui pèse sur le groupe qui a aussi pu motiver ce retrait de la TNT payante. Comme l’avait révélé, là aussi, l’Informé fin octobre, Canal + est opposé à Bercy dans un bras de fer depuis trois ans, concernant le calcul de la TVA dont le groupe devrait s’acquitter. Au point que l’administration fiscale réclame aujourd’hui 655 millions d’euros à la filiale de Vivendi.

En cause : le changement de modèle de Canal +, passé d’une offre de télévision payante à une plateforme de streaming assimilable aux Netflix et consorts. Le fisc considère donc que le taux de TVA applicable à Canal + ne serait plus de 10 % comme c’était le cas historiquement, mais de 20 % désormais, comme pour ses homologues américains. Datant ce changement de TVA au 1er mai 2019, le fisc a donc notifié à Canal + des redressements de 230 millions d’euros par an sur les années 2019 à 2021, indique l’Informé. Après avoir essayé de contester cette décision auprès du Conseil d’Etat, sans succès, l’Informé indiquait il y a quelques jours que la cour administrative d’appel de Paris avait tranché pour l’application d’une TVA à 20 % pour des services comme OCS, et donc Canal +.

70 000 abonnés via la TNT

Pour riposter, le groupe dirigé par Maxime Saada semble donc décidé à assumer ce statut de plateforme, en lâchant la diffusion hertzienne de sa chaîne historique généraliste, Canal +, et de ses trois chaînes thématiques, Canal + Cinéma, Canal + Sport et Planète +. A dire vrai, si ce n’était pour justifier de cette TVA à la baisse, et d’une éventuelle visibilité accrue via les télécommandes, cette présence sur la TNT payante semblait anachronique pour le groupe qui vient de fêter ses 40 ans. D’abord, parce qu’il n’était plus possible, pour le téléspectateur, de s’abonner à ce mode de diffusion depuis 2022, comme le racontait une étude d’impact de l’Arcom l’an passé, menée à l’occasion du renouvellement des fréquences de la TNT. Et selon les Echos, relayant des chiffres d’un document à l’occasion de l’entrée en bourse du groupe, Canal + comptait seulement 70 000 d’abonnés via la TNT dernièrement (soit moins de 1 % de son parc d’abonnés). Le groupe annonce dans son communiqué qu’il leur proposera «les équipements nécessaires afin qu’ils puissent profiter de l’ensemble des programmes de leurs chaînes sur d’autres modes de diffusion» (notamment par satellite, ADSL ou Internet). Un nombre d’abonnés par ailleurs peu rentable vis-à-vis des coûts de diffusion très lourds via la TNT. L’AFP chiffre ainsi entre 10 et 15 millions d’euros l’économie réalisée avec l’arrêt de ces quatre chaînes TNT.

Qu’en sera-t-il du financement du cinéma français ? L’accord en cours, conclu par Canal pour trois ans en 2021, arrive à expiration à la fin du mois, et les négociations pour le prochain deal se déroulent actuellement. En débranchant ses chaînes TNT, les obligations de financement du groupe, inscrites dans ses conventions avec l’Arcom, s’allègent a priori. Même s’il faut mettre plusieurs bémols à cette menace souvent agitée par Maxime Saada. Déjà, parce que le financement de Canal + excédait ses obligations ces dernières années, le groupe contribuant à hauteur de 190 millions d’euros annuels environ, alors que sa convention l’obligeait à 170 millions d’euros minimum. Aussi parce que d’autres obligations viendraient les remplacer. Canal + devrait alors s’aligner soit sur les niveaux de financement dévolus aux chaînes du câble et du satellite (soit 16 % de son chiffre d’affaires), soit sur ceux des plateformes SVOD (entre 20 et 25 %). Reste que la manœuvre de Canal + offre aussi des arguments à ses adversaires pour remettre en cause la place avantageuse du groupe dans la chronologie des médias, avec une diffusion des films sur Canal + six mois après leur sortie en salles, contre 15 pour Netflix.

Un casse-tête pour l’Arcom

Ce délestage de ses chaînes TNT payantes apparaît finalement attendu dans la stratégie d’internationalisation de Canal +, qui veut se transformer en plateforme de streaming à ambition mondiale, comme l’indique le projet de cotation à Londres, ou le rachat du groupe sud-africain de télévision payante MultiChoice. Mais dans le paysage TNT français, il fragilise les deux dernières chaînes hertziennes de Canal +, CNews et CStar, qui vont se retrouver isolées au sein d’un groupe international désormais pleinement «plateformisé». Pour l’Arcom, beaucoup de questions vont se poser par ailleurs : que faire des canaux désormais laissés libres ? Les réattribuer à des chaînes payantes, alors que ce modèle est en bout de course avec la seule Paris Première fonctionnant désormais sur ce mode de distribution ? Ou les transformer en canaux gratuits, quitte à créer de nouveaux acteurs sur un marché publicitaire déjà saturé ? Faudra-t-il refaire un appel à candidatures ? Quid du canal n° 4, qui devrait logiquement susciter les convoitises de toutes les chaînes moins bien classées ? Alors qu’il travaille déjà à une refonte de la numérotation de la TNT, avec la création très probable d’un bloc de chaînes d’info, le régulateur de l’audiovisuel se retrouve là avec un nouveau casse-tête à résoudre.

Mise à jour 6/12 à 10h30. Actualisation du nombre d’abonnés à Canal + via la TNT avec des chiffres plus récents.