Pas logés à la même enseigne. Selon les données publiées jeudi 15 février par l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), la diffusion de la presse en France a reculé de 4,6 % en 2023, avec 2,4 milliards d’exemplaires de journaux vendus, dont 721 millions en version numérique. Les sites et applis de presse ont pour leur part enregistré 23 milliards de visites (tous supports confondus). La presse française s’est diffusée à hauteur de 2,7 milliards d’exemplaires en 2023, soit 7,5 millions d’exemplaires par jour en moyenne.

Au milieu de résultats plus ou moins décevants pour les titres de presse, une chute notable. Avec une baisse de 21,3 % de ses ventes mensuelles moyennes entre 2022 et 2023, passant de 132 406 exemplaires à 104 177 numéros payants diffusés, le Journal du dimanche (JDD) n’a pour le moins pas bénéficié de son basculement à l’été 2023 dans l’escarcelle médiatique de l’extrême droite. Aucun autre des 45 titres de la presse du septième jour n’a fait pire que le JDD selon l’ACPM, et ils ne sont que deux à atteindre une baisse à deux chiffres, l’avant-dernier s’affaissant de 10,1 %.

Cette chute doit néanmoins être relativisée. La non-parution de six numéros dominicaux au cours des quarante jours de grève qui avaient marqué la prise de contrôle de Lejeune en juin et juillet 2023 – le forçant à produire un premier numéro sans journaliste – joue un rôle dans ce repli. Toutefois, la moyenne de diffusion du JDD avant la grève (de janvier à mai 2023) s’établissait à 122 595 exemplaires, contre 113 544 après la grève (d’août à décembre 2023), soit une baisse de 7,3 % entre les deux périodes. Entre mai et décembre, la diffusion du titre a chuté de 9,3 % selon CheckNews.

Pour Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information à l’université Paris Panthéon-Assas, ces données apparaissent comme la conséquence du changement brutal de ligne éditoriale, avec l’arrivée à sa tête du journaliste d’extrême droite Geoffroy Lejeune, et de l’émergence de la Tribune dimanche, née pour concurrencer le JDD. «L’hypothèse d’un transfert d’une partie des lecteurs paraît fondée par ce que l’on sait de l’histoire de la presse et de situations analogues. On l’a vu par exemple avec Science & Vie et Epsiloon», rappelle le chercheur. En 2021, la rédaction de Science & Vie, poussée dehors par son actionnaire, avait refondé un nouveau mensuel scientifique de référence, Epsiloon.

Pour l’historien des médias Alexis Levrier, rien de surprenant non plus. «Quand on s’en prend à l’identité éditoriale d’un journal, surtout aussi violemment, c’est rarement une réussite. Au tournant des années 1920, quand François Coty reprend le Figaro pour en faire un journal d’extrême droite, dans un premier temps, ça fonctionne. Puis ça plonge, et Coty finira ruiné.» En ce qui concerne le JDD, l’historien constate par ailleurs une difficulté à enrayer «une dynamique très baissière globale» sur le long terme. «Cela fait un moment que les vents sont contraires pour la presse hebdomadaire. Avec la réduction du nombre de points de vente, accéder à ce journal, même quand on le souhaite, n’est pas forcément évident.»

Dernier indicateur inquiétant pour la bande à Lejeune, «le journal redémarre sur de mauvaises bases en 2024», pointe Arnaud Mercier. Les ventes en kiosque du JDD, qui ont fondu de 25 % entre 2022 et 2023, continueraient de s’effriter en janvier (-12,5 %) selon les calculs du Monde. Toutefois, pour Arnaud Mercier, «les actionnaires s’en moquent, parce qu’ils avaient surtout besoin d’un relais d’influence idéologique». La stratégie Bolloré ? «Je pense qu’ils savent de façon froide et cynique qu’il est nécessaire de passer par une perte d’électorat pour imposer sa ligne éditoriale et aller chercher un nouveau public, c’est ce qu’il s’est passé avec iTélé et CNews», explique-t-il.

Du côté de la concurrence, la Tribune dimanche a bénéficié d’un effet de curiosité lors de son apparition en octobre 2023 (51 222 exemplaires vendus en moyenne), avant de s’affaisser en novembre et décembre (40 986 puis 35 301 tirages), pour une baisse de plus de 30 % en deux mois.

Dans le détail, la presse quotidienne régionale (PQR) représente 37 % de la diffusion de la presse française, suivie par la presse magazine (36 %). La presse quotidienne nationale (PQN), qui se vend le plus en version numérique, complète le podium avec 16 %. Parmi les neuf titres de PQN comptabilisés par l’ACPM, Libé est le journal qui profite de la plus forte évolution entre 2022 et 2023, avec une hausse de 3,8 % de sa diffusion, et dépasse les 100 000 exemplaires vendus en moyenne par jour.

Cinquième quotidien national le plus diffusé de l’Hexagone, Libération profite, selon Arnaud Mercier, d’un «bon positionnement et d’une stratégie payante, avec le retour à certains fondamentaux, entre une opposition toujours résolue au Rassemblement national, mais aussi au macronisme, et sans doute en étant plus en autonomie face aux débats qui déchirent la gauche». On ne se prononcera pas plus.