L’audition était attendue, tant CNews semble encore avoir passé un cap ces dernières semaines, que ce soit au niveau de ses audiences – elle est désormais la première chaîne d’information devant BFM TV – que de ses outrances, avec une campagne des législatives en point d’orgue monstrueux. Dans la grande foire aux fréquences TNT mise en place par l’Arcom, les dirigeants de Canal + sont venus défendre lundi matin la candidature de la chaîne à sa propre succession sur le canal n° 16. Il y avait fort à faire, au vu des multiples rappels à l’ordre et des amendes de plusieurs dizaines de milliers d’euros dont CNews a dû s’acquitter ces derniers mois. Encore la semaine passée, on apprenait que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique lui avait infligé deux amendes de 60 000 et 20 000 euros, l’une pour avoir laissé dire que «l’immigration tue» sans aucune réaction en plateau, la seconde pour avoir laissé un intervenant contester l’influence humaine sur le réchauffement climatique, là aussi sans contradiction.
Cinq amendes depuis le début de l’année
Les dirigeants de Canal + (le président du directoire Maxime Saada, le directeur général Gérald-Brice Viret) étaient accompagnés de ceux de CNews (le patron Serge Nedjar, le directeur de l’info Thomas Bauder) ainsi que de quelques figures de l’antenne dans l’assistance (la présentatrice Christine Kelly ou la chroniqueuse Rachel Khan). Après un propos liminaire forcément autosatisfait – mention spéciale au «la force de notre rédaction, c’est notre engagement envers le pluralisme», par Gérald-Brice Viret – les questions des membres du collège de l’Arcom ont permis de rentrer dans le vif du sujet. A savoir les nombreux rappels à l’ordre du régulateur pour «encouragement à des propos discriminatoires», «manquement à l’honnêteté ou à la rigueur de l’information» ou «non-maîtrise de l’antenne», selon la liste qu’en a fait le conseiller Hervé Godechot.
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Face à cela, les dirigeants de CNews ont reproduit la même danse que la semaine précédente avec C8. A savoir l’argument absurde du ratio de «dérapages» comparé au temps d’antenne total en direct (là, il était de 0,012 %) : «Est-ce que c’est déjà trop ? Oui, certainement», a cependant convenu Serge Nedjar dans un rare moment de pénitence. Ou le désormais fameux relativisme «Il y a tout ce que vous voyez à l’antenne, mais il y a aussi tout ce que vous ne voyez pas» : en clair, on vous évite le pire. Thomas Bauder, le directeur de l’information, a alors vanté les mérites des «cinq systèmes de vérification» mis en place dans sa rédaction, avec les filtres du rédacteur en chef, du chef d’édition… Bref, rien que du très traditionnel pour tout média d’information. Mais aussi la mise en place d’un «intercom», un bouton dans les bureaux du patron Nedjar et de son lieutenant Bauder, histoire de pouvoir intervenir directement auprès de la régie pour appeler à modérer tout propos trop outrancier à l’antenne. Cela n’a pas empêché CNews de se coltiner cinq amendes de l’Arcom depuis le début de l’année. Un «comité de programmation» a aussi été installé : «On fait le point toutes les semaines sur les invités intéressants, tendancieux, sur lesquels les retours sont négatifs… On filtre, on trie et on change», a indiqué Thomas Bauder. Enfin, un renforcement du service juridique est aussi prévu.
Plateaux de débat complètement déséquilibrés
L’audition s’est alors recentrée sur la nature de chaîne d’information de CNews, avec une question : le débat, est-ce de l’information ? Selon le dossier de candidature cité par le conseiller Hervé Godechot, CNews diffuse 2 350 heures d’information par an pour 4 652 heures de débat. Et comme l’a rappelé le même conseiller, «le débat, c’est du commentaire, pas de l’information brute qu’on apporte au téléspectateur». Serge Nedjar n’est pas du même avis, arguant que «le débat, c’est de l’info développée. On reprend les gros titres de l’information, et certains méritent d’être développés. Avec une chaîne d’information, soit on fait un robinet à info, ce qui était le cas avant [avec i-Télé, ndlr]. Soit on change le modèle : plutôt que de donner du matin au soir de l’information brute, nous donnons un éclairage». Et de s’appuyer sur la décision du Conseil d’Etat du 13 février qui appelle l’Arcom à mieux faire respecter les règles du pluralisme et qui ne conteste pas la désignation de CNews comme une «chaîne d’information».
En creux, l’Arcom semble surtout prévenir CNews du sort qu’elle voudrait lui réserver. «Seriez-vous prêt à augmenter la part de hard news, qui représente aujourd’hui un peu moins d’un tiers du temps d’antenne ?» a ainsi demandé Roch-Olivier Maistre, le président de l’autorité. La tendance du côté de l’Arcom semble être en effet à un renforcement de la convention de CNews, pour l’obliger à diffuser de l’information brute plutôt que des débats en plateau. «C’est possible que ce taux soit augmenté, a répondu Maxime Saada. Est-ce qu’on est prêt à s’engager aujourd’hui ? Je ne sais pas. J’entends la demande, on va peut-être y réfléchir quelques jours.» La décision du Conseil d’Etat sur le pluralisme devrait aussi mettre en difficulté les plateaux de débat complètement déséquilibrés dont CNews fait son miel depuis des années. Qu’ont entrepris les dirigeants de la chaîne pour la faire appliquer ? «Rien de concret», ont relevé les conseillers. Maxime Saada l’a avoué : plutôt que de prendre les devants, CNews attend de connaître le mode d’application choisi par l’Arcom pour s’y conformer. Ou pour mieux le contourner ?
Contournements systématiques des obligations de la chaîne
Enfin, plusieurs cas concrets sont revenus sur le tapis. L’émission catho En quête d’esprit par exemple, et son graphique anti-IVG qui classait l’avortement parmi les «causes de mortalité». «Je présente à nouveau mes excuses, a déclaré Thomas Bauder, après avoir déjà abordé le sujet au printemps lors de la commission d’enquête parlementaire sur les fréquences TNT. Mais tout le monde a oublié les plateaux favorables à l’IVG qui ont suivi.» Vision du pluralisme à la sauce CNews, reprenant non-ironiquement Jean-Luc Godard : «L’objectivité à la télévision, c’est cinq minutes pour les juifs et cinq minutes pour Hitler».
D’ailleurs, ce week-end, un extrait a beaucoup tourné : les propos du psychiatre Pierre Sidon dans l’émission de Jean-Marc Morandini, à propos des deux rugbymen français inculpés pour viol aggravé en Argentine. Interrogé sur la «décompensation générale du corps» dont souffre la victime, ce psychiatre se laisse surtout aller à des considérations sur l’affaire, se refusant à «parler de viol» puis se lançant dans une analyse sur le «retrait du consentement dans une relation sexuelle» qui laisserait les «garçons […] tétanisés» : «C’est une généralisation du #MeToo dans lequel tout homme est potentiellement un violeur et toute relation peut devenir un viol.» Interrogés sur cette séquence par le collège de l’Arcom, les dirigeants de CNews ont, là aussi, fait valoir que l’interview avait été suivie d’un commentaire de Jean-Marc Morandini (par ailleurs condamné à six mois de prison avec sursis pour harcèlement sexuel, il a fait appel), appelant à «respecter les deux versions» : «Cette femme est peut-être une victime comme elle le dit.» Quels engagements la chaîne est-elle prête à prendre sur le respect de l’égalité femmes-hommes ? «Sur la parité, la diversité, CNews est l’exemple type de ce qui se fait de mieux dans les chaînes infos», a balayé Serge Nedjar, citant les huit heures de tranches d’information quotidiennes assurées par des présentatrices.
A la fin, on a surtout le sentiment que les dirigeants de Canal + sont arrivés devant l’Arcom avec l’envie de ne surtout rien changer à leur modèle. Celui-ci leur cause pourtant régulièrement des remontrances du régulateur : dans toute entreprise audiovisuelle responsable, des mesures auraient été prises. «Nous prendrons les dispositions nécessaires pour se conformer», a surtout répété Maxime Saada ces dernières années à propos de ses chaînes gratuites. L’excellence de CNews pourrait d’ailleurs se loger là, dans cette capacité à trouver des moyens de contournements systématiques de ses obligations. Elle semble prête à refaire le coup à nouveau. A moins que l’Arcom ne décide d’arrêter les frais ?