Lancée à l’automne à la faveur du droit de tirage (qui permet à chaque groupe l’ouverture d’une commission par an) exercé par les députés insoumis à l’Assemblée nationale, la commission d’enquête sur les fréquences TNT sera définitivement clôturée mardi 14 mai, avec la publication du rapport rédigé par le député insoumis Aurélien Saintoul. Parfois tendu, d’autres fois laborieux, souvent chaotique, le processus aura vu se succéder les auditions d’une grande partie des dirigeants de l’audiovisuel, d’anciens ministres ou de présidents de l’autorité de régulation. Avec quelques prises de becs, quelques révélations et pas mal de dérapages. Retour sur dix moments clés de cette commission d’enquête atypique.
Praud, Ferrari… L’armada de CNews et C8 convoquée
C’est pas nous, c’est le direct ! Ligne de défense assumée par les dirigeants de CNews et C8 pour expliquer les sanctions de l’Arcom après les multiples dérapages de Cyril Hanouna ou Pascal Praud. «Le succès de Cyril Hanouna peut donner lieu à des débordements, a notamment exposé le patron de Canal +, Maxime Saada. C’est un risque que nous prenons, mais que nous assumons pleinement. Et quand nous sommes sanctionnés, nous acceptons la sanction.» «On aura donc bien noté que les amendes du CSA ou de l’Arcom ne sont pas dissuasives», en concluait sarcastiquement le rapporteur de la commission, Aurélien Saintoul.
TF1 et M6 favorisés en 2012 ?
Drôle d’audition que celle de l’ancien président du CSA (de 2013 à 2019), Olivier Schrameck. Dès son propos liminaire, le haut fonctionnaire détonne avec une volonté de franchise : Schrameck jette ainsi le soupçon sur les conditions d’attribution de six fréquences TNT en décembre 2012, un mois avant son entrée en fonction. Démarré sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le processus aurait favorisé les TF1, M6 et consorts : «Je me suis toujours interrogé sur l’intérêt quantitatif du saut opéré, un choix qui a favorisé les grands groupes existants.» Plus tard, il témoignera aussi, en toute transparence, d’un cas d’interventionnisme supposé du président de la République de l’époque, François Hollande, sur le processus de nomination du président de France Télévisions : «Il a expliqué ses réserves sur un ou deux noms.» Bizarrement, pas celui de Delphine Ernotte, qui sera choisie.
Vincent Bolloré se lâche sur le droit à l’avortement
Le milliardaire breton a profité de son audition pour étaler ses convictions religieuses : une heure environ après avoir prêté serment, tout sourire devant une quinzaine de photographes, le voilà qui livre spontanément le fond de sa pensée sur la question de l’avortement. Pour ce catholique pratiquant, deux «libertés» se «heurtent», dont celle «des enfants à vivre», lâche-t-il, deux semaines après une intense polémique au sujet de l’IVG provoquée par une émission catholique diffusée sur CNews. Au-delà, face aux questions peu inspirées des députés, Vincent Bolloré aura tout le loisir de jouer le rôle du patron débonnaire, voire naïf, pas vraiment au courant des affaires de son groupe.
Cyril Hanouna et «la trahison»
Costume et chemise noirs, Cyril Hanouna avait pris le parti de venir en paix. Moment d’émotion autour du cas Louis Boyard, député insoumis du Val-de-Marne qu’il avait insulté dans son émission Touche pas à mon poste. Hanouna joue la partition du pote blessé, face à son ancien chroniqueur qui cite le nom de Vincent Bolloré en direct. «S’il y a un truc qui me rend fou, c’est la trahison», fait valoir la star du groupe Canal. Le président de la commission, le député Renaissance Quentin Bataillon, remet les choses dans le contexte : «Insulter un représentant de la nation en direct, sur un plateau de la sorte, est extrêmement grave.» Pour Hanouna, ça ne méritait pas les 3,5 millions d’euros d’amende infligés par l’Arcom…
Xavier Niel balance sur Martin Bouygues
Le fondateur de Free, et candidat malheureux à la reprise de la fréquence TNT de M6 l’an passé, aime bien faire valoir son panache de milliardaire franc-tireur dans ce genre de contexte. Alors, face aux députés de la commission d’enquête, Xavier Niel balance sur le TF1 de son meilleur ennemi Martin Bouygues : «Ce sont des chaînes pro-gouvernementales, quel que soit le gouvernement. Ce sont des chaînes par essence qui vont être toujours du côté du fort, du pouvoir, parce que, potentiellement, elles vont pouvoir obtenir des intérêts ou des avantages. C’est leur modèle. Personne n’est dupe de cela.» Sera-t-il candidat à une fréquence dans l’appel d’offres ouvert en ce moment ? Mystère. Il ne croit pas tellement que ce processus augurera d’une révolution du paysage audiovisuel : «On peut se revoir dans un an, vous verrez : toutes les chaînes auront été renouvelées telles quelles, c’est mon pari.»
Rachida Dati dénonce les «croisades» de LFI
Prise de becs d’entrée entre la ministre de la Culture et le rapporteur insoumis Aurélien Saintoul, qui questionne directement Rachida Dati sur les raisons de l’éviction de sa prédécesseure Rima Abdul Malak, sur fond d’insinuations d’un éventuel rôle de Vincent Bolloré dans l’affaire. «Ça devient très personnel. Ce sont des questions qui soupçonnent des choses. La croisade, les attaques, les collusions ou autres, je ne suis pas là pour répondre à ça… Vous mettez en cause ma légitimité, ma capacité, ma compétence ? Je serais l’objet d’un contrat entre deux hommes ?» s’est notamment élevée la ministre. Visiblement agacée, Rachida Dati s’interrogera quelques instants plus tard : «C’est une commission d’enquête contre M. Bolloré ?»
L’extrême droite réclame l’audition de Yann Barthès
Comme une sorte de compensation accordée aux députés d’extrême droite après les auditions de Vincent Bolloré ou Cyril Hanouna, voilà Yann Barthès interrogé par la commission d’enquête. Polaire kaki et lunettes en écaille, le présentateur de Quotidien attaque direct en déclarant qu’il n’est «pas ravi d’être là, mais c’est néanmoins une expérience». L’audition tournera autour du choix de l’émission de TMC de ne pas inviter de représentants politiques d’extrême droite. Le producteur Laurent Bon a une bonne excuse : «Le Rassemblement national boycotte, discrédite et agresse les équipes de Quotidien depuis des années.»
Les ex-ministres de la Culture démontent le projet de fusion de l’audiovisuel public
La chorale des anciens de la rue de Valois. Interrogés en fin d’audition sur leur opinion vis-à-vis du projet de fusion de l’audiovisuel public mené par Rachida Dati, cinq ex-ministres de la Culture ont fait valoir leur opposition. «Pas indispensable», selon Rima Abdul Malak. «Un placebo», pour Jacques Toubon. Un «cataplasme un peu coûteux», pour Fleur Pellerin. Roselyne Bachelot enfonce ensuite le clou : «Depuis le temps qu’on nous vend des fusions comme étant génératrices d’économies et de meilleurs fonctionnements et que tout ça va à la dérive… Le coup des économies de gestion générées par les holdings, on ne va plus me la faire.»
Le président de la commission cède aux sirènes d’Hanouna
Les auditions terminées, le président Renaissance de la commission d’enquête Quentin Bataillon s’empresse d’aller sur le plateau de Cyril Hanouna faire le service après-vente. Et dérape, en critiquant en direct le rapporteur insoumis Aurélien Saintoul ou le concurrent du présentateur, Yann Barthès : «C’est la première fois que je me suis énervé, dira-t-il à propos du présentateur de Quotidien. Il a eu une attitude assez arrogante dès le début !» Enorme polémique dans les jours qui suivent. Quentin Bataillon fera son mea culpa quelques jours plus tard, reconnaissant que ce n’était «pas une bonne idée» d’émettre une «critique» de Yann Barthès et Quotidien «sur le plateau de leurs principaux concurrents». «Ce n’était pas mon rôle de le faire là-bas, c’était une maladresse et je le regrette, déclare-t-il à France Info. Je ferai attention dans mes futurs propos.»
Des propositions à venir controversées ?
Après quatre mois de travaux, le député insoumis Aurélien Saintoul présentait son rapport le 7 mai aux autres membres de la commission. Un document controversé, des députés de la majorité présidentielle demandant initialement le retrait de 19 propositions (sur 47) formulées par Saintoul, jugées trop anti-CNews ou C8, ou bien hors sujet. L’élu insoumis dénonce alors un «chantage» et une «tentative de censure». Finalement, 9 propositions seront prises à son propre compte : elles figureront bien dans le rapport mais n’engageront Saintoul qu’en tant que député et non comme rapporteur de la commission d’enquête. Ultime bizarrerie de cette chaotique commission d’enquête : le député insoumis des Hauts-de-Seine présentera son rapport à la presse mardi à 15 heures. Le président Renaissance de la commission, Quentin Bataillon a, lui, convoqué les journalistes mercredi pour présenter les propositions de la majorité présidentielle.