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«Invendable», revue débrouillarde qui rapporte des nouvelles d’ailleurs

Dans son deuxième numéro paru cet automne, la publication lancée par de jeunes journalistes indépendants traverse la Russie en auto-stop, de la Crimée annexée à la mer du Japon, distillant sur 200 pages une écriture déliée et un appétit des rencontres improbables.
La couverture du deuxième numéro d'«Invendable», «Autostop Poutine», paru en octobre.
publié le 16 novembre 2024 à 19h15

Un après-midi d’octobre, ils ont débarqué de manière impromptue devant les locaux de la rédaction de Libération, leurs revues sous le bras. De bons vendeurs, Serge Hastom et Louis Borel, les deux journalistes vingtenaires derrière l’objet de presse non identifié Invendable. La revue au format A5, épaisse de quelque 200 pages, rassemble des «carnets de reportage très indépendants» comme le prône le slogan en couverture, avec des photos qui semblent prises à l’arrache, contrastant avec une maquette soignée. Après une traversée des Etats-Unis du Texas au Dakota pour le premier numéro, voilà Invendable traçant 25 000 kilomètres en auto-stop au milieu de Russie. Qu’y trouve-t-on ? Tout ce qu’il n’y a pas dans un reportage classique.

«L’invendable, c’est tout ce qui ne va pas se vendre dans les journaux, ce qui sort du cadre», explique ainsi le reporter indépendant Serge Hastom, 26 ans. «Les rencontres, les soirées, les anecdotes qui ne rentrent pas forcément dans les papiers traditionnels, appuie son comparse Louis Borel, 29 ans. On partait du constat que, quand on rentre de reportage, on nous demande d’abord où on a dormi, ce qu’on a mangé, qui on a rencontré, et on arrivait ensuite au sujet de fond. L’idée, c’est de raconter ce qu’on a vu comme si on retrouvait nos potes au retour d’un voyage.»

«Casser le ton journalistique un peu surplombant»

Alors, dans ce deuxième numéro sorti début octobre, «Autostop Poutine», le ton à la première personne est enlevé, gonzo sans la prétention, l’écriture déborde joyeusement de tous les côtés au fil des personnages croisés entre la Crimée annexée et la mer du Japon. On y rencontre Sacha, organisateur d’orgies à Ekaterinbourg, ou d’intimidants mercenaires du groupe Wagner dans un wagon du Transsibérien. Le voyage, qui s’est déroulé à l’été 2023, a d’abord donné un reportage de dix pages, plus conventionnel, dans le Nouvel Obs en novembre de l’année dernière. De même que le premier numéro, «Let’s Get Lost», dans la verticale du vide américaine, là où tout le monde vote pour Donald Trump.

«Mais dans ce que l’on fait avec Invendable, il y a aussi une dimension méta sur la fabrique du métier, explique Louis Borel. Avec l’idée de casser le ton journalistique un peu surplombant qu’on peut adopter dans des articles pour la presse traditionnelle, pour montrer qu’il y a des humains derrière qui écrivent.» A l’origine, le projet a été lancé sur un comptoir à Berlin, né de la frustration de pigistes confrontés aux difficultés à vendre leurs sujets à la presse nationale. Le numéro zéro se penche sur les artistes russes exilés dans la capitale allemande. L’affaire se monte en petit commando, avec aussi le photojournaliste Nicolas Cortes et la graphiste Faustine Deletrain. Invendable est tiré, pour ce deuxième numéro, à 1 000 exemplaires. Le premier a déjà connu plusieurs réimpressions, vendu à 2 000 exemplaires en tout. Et tout ça à l’arrache, avec les moyens du bord, «sans aucun fond, on arrive à peine à l’équilibre», dit Serge Hastom. Les exemplaires sont écoulés via leur site Internet ou déposés directement en librairies.

L’ambition, désormais, est de sortir un numéro tous les quatre mois, en accueillant des plumes extérieures. Le prochain Invendable, prévu pour décembre, rapportera en tout cas des nouvelles de moins loin, puisqu’il est issu de traversées de la France pendant quatre mois. Le reportage s’est déroulé entre mai et août dernier, avec une campagne des législatives qui s’est invitée au milieu. «C’est venu vraiment cristalliser notre sujet, ça ne pouvait pas mieux tomber», explique Louis Borel. Il questionnera à nouveau les pratiques journalistiques puisque les débrouillards d’Invendable sont allés interroger nos compatriotes sur leurs rapports à l’identité française et… aux médias.