«Qui à Radio France a cautionné, voire provoqué, cette irruption incongrue de Gabriel Attal lors d’une interview de Valérie Hayer sur Franceinfo lundi», où il a parlé plusieurs minutes à sa place ? La CGT, comme la société des journalistes de la Maison ronde, se sont indignés, mardi 4 juin, de cet épisode non seulement choquant pour Valérie Hayer, dont le temps de parole a été préempté par le Premier ministre, mais inquiétant pour l’indépendance de la rédaction, au moment où Rachida Dati lance un projet de fusion de l’audiovisuel public.
Chez Pol
Pour la Société des journalistes (SDJ), le directeur de l’information Jean-Philippe Baille, auquel la SDJ a réclamé des explications, aurait dû empêcher cette captation d’antenne, qui a déclenché de très nombreuses critiques. Les justifications du directeur de l’information n’ont pas convaincu. «Rencontré lundi par des membres de la SDJ de Radio France et de franceinfoTV, Jean-Philippe Baille, directeur de l’information de Radio France, assure que cette intervention n’était pas «préparée en amont», que le Premier ministre, à la sortie de son interview matinale sur Franceinfo, a voulu «saluer» Valérie Hayer, qui échangeait alors avec des jeunes et des journalistes dans l’auditorium, un débat retransmis sur Franceinfo tv. Apprenant la présence de la candidate quelques étages au-dessous, Gabriel Attal a, selon lui, voulu appeler au vote les nombreux jeunes présents dans l’auditorium, message qui pour Jean-Philippe Baille «allait dans le sens de [la] démarche : réunir les jeunes». Il précise ne pas s’être opposé à cette prise d’antenne, décidée en quelques secondes dans l’ascenseur, car «on ne pouvait pas savoir qu’il allait aller au-delà».»
«Séquence désastreuse»
Pour la SDJ, ce choix n’est pas acceptable. «Il ne nous appartient pas de commenter le choix du chef du gouvernement d’occuper plus de trois minutes de temps de parole de la candidate de son camp, à six jours du scrutin. Mais comme de nombreux auditeurs, téléspectateurs, citoyens, cette arrivée impromptue dans un événement aux temps de parole très cadrés par les règles électorales, nous a choqués. S’opposer à une telle intervention était du devoir du directeur de l’information», martèle la SDJ. Pour les représentants des journalistes, «la séquence se révèle désastreuse pour l’image de l’audiovisuel public et jette le doute sur l’indépendance de nos rédactions, que nous défendons fermement». «Ni le Premier ministre ni aucun autre responsable politique ne peut «s’inviter dans toutes les émissions de la Maison de la radio, en temps réel», ajoutent-ils. Les choix éditoriaux et d’invités se décident au sein des rédactions, dans le respect des principes déontologiques de pluralisme.»
Et de conclure, qu’«alors que doit être débattue prochainement à l’Assemblée nationale la proposition de loi de fusion de l’audiovisuel public, l’image d’un chef de l’exécutif qui bouleverse à l’improviste les programmes a suscité, à juste titre, de nombreuses critiques, dont les rédactions de Radio France et de France Télévisions se seraient bien passées, à l’heure où elles défendent plus que jamais leur indépendance et le libre exercice de leur mission d’information».
«Mépris sexiste humiliant»
Au sein de la rédaction, le malaise persiste, mais certains y voient un signe politique plus profond. «C’est un signe inquiétant pour notre indépendance. Mais ce n’est pas seulement une histoire Radio France, c’est une histoire Attal, commente un journaliste de la rédaction. En pleine campagne, alors que chaque prise de parole est décomptée à la seconde près, le Premier ministre prend le temps de parole de la candidate, lui qui n’est pas sur la liste. Et assume totalement. Matignon ne soutient pas sa tête de liste.»
«Ce n’était pas seulement un moment de mépris sexiste humiliant pour la candidate de Renaissance, rabaissée au rang de faire-valoir, a renchéri la CGT dans un communiqué. Un bien mauvais exemple à donner aux jeunes présents dans la salle. C’était aussi une prise d’antenne très mal venue alors que le gouvernement veut imposer à l’audiovisuel public une réforme qui fait planer une menace sur son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique.» Valérie Hayer a tenté de son côté, mardi 4 juin, de défendre le Premier ministre et de minimiser l’affaire, en jugeant «indignes» ces attaques en sexisme contre Gabriel Attal. Là encore, sans convaincre.
De son côté, la direction a réaffirmé mardi après-midi à Libération que l’arrivée d’Attal sur le plateau était improvisée mais a indiqué qu’elle regrettait la séquence. «Tout s’est décidé en cinq minutes, Gabriel Attal a dit qu’il allait saluer Valérie Hayer en coulisses, on a eu une discussion dans l’ascenseur, il est arrivé à la porte [du studio où Valérie Hayer intervenait, ndlr], Salhia Brakhlia, qui venait de l’interviewer, est montée sur scène et il l’a suivie. Rien n’était réfléchi. On comprend que ça ait pu être déstabilisant pour les téléspectateurs qui ont vu Gabriel Attal débarquer, mais après on a interrogé Valérie Hayer sur son programme. Mea culpa, si c’était à refaire on ne le referait pas. Par ailleurs, oui sa prise de parole était sur le temps de parole de Valérie Hayer, et Gabriel Attal le savait», a expliqué une porte-parole.
Mise à jour à 17h17 avec mea culpa de la direction.