Visage familier de la télévision, vingt-quatre ans durant sur le service public avant d’apparaître sur CNews ces dernières années, le journaliste politique Gérard Leclerc est mort brutalement mardi à 71 ans dans le crash d’un avion de tourisme à Lavau-sur-Loire (Loire-Atlantique), avion qu’il pilotait avec, semble-t-il, deux passagers à bord. Sa mort a suscité de vives réactions, unanimes, chez des personnalités politiques et médiatiques de tous bords qui louent un homme «drôle», «cultivé», «élégant». «Il aimait le débat et la controverse tout en respectant la vérité des faits. Je pense à nos interviews, j’entends encore ses analyses et je mesure le talent que la presse vient de perdre», a ainsi écrit l’ancien président de la République François Hollande sur le réseau X (anciennement Twitter). «Par ses points de vue pertinents, ses analyses toujours précises et argumentées, et son professionnalisme, Gérard Leclerc a permis à CNews de grandir, contribuant à son succès», écrit de son côté le groupe Canal +. L’avion de Gérard Leclerc se dirigeait vers La Baule, où il devait assister jeudi à un concert de son demi-frère, le chanteur Julien Clerc.
Né le 2 septembre 1951 à Neuilly-sur-Seine, fils d’une musicienne et d’un haut fonctionnaire de l’Unesco, Gérard Leclerc est diplômé de Sciences-Po en 1976 – école avec laquelle il conservera un lien fort, enseignant les techniques d’interview aux étudiants en journalisme ces dernières années. Au tournant des années 1980, il fait ses classes comme reporter au service économique et social d’Europe 1. C’est là qu’il rencontre l’animatrice Julie, bientôt une des voix emblématiques de la station. Ils se marient en 1981, avant d’avoir trois enfants. En 1985, Gérard Leclerc fait un rapide détour par RMC avant de travailler pour la télévision, notamment à Antenne 2, où il deviendra un journaliste politique remarqué pendant deux décennies.
Passionné par la gauche
D’abord chef du service économique et social, il devient tour à tour présentateur du magazine économique Objectif éco à la fin des années 1980, grand reporter pendant la guerre du Golfe, joker des JT de 13 heures et 20 heures, puis rédacteur en chef de l’émission Télématin entre 1992 et 1997, aux commandes de l’interview politique les 4 Vérités. Pendant ces années-là, il écrit des livres, cosignant notamment Lionel Jospin, l’héritier rebelle en 1996 avec Florence Muracciole, une biographie sur celui qui fut le candidat du Parti socialiste à la présidentielle l’année précédente, et bientôt Premier ministre de la troisième cohabitation. Gérard Leclerc se passionne pour la gauche, cosignant toujours avec Florence Muracciole un autre livre sur Jospin en 2001, puis une enquête sur les luttes intestines au Parti socialiste entre 2002 et 2007, la Guerre des deux roses.
Devenu directeur adjoint de la rédaction de France 2 en 1997, puis responsable du service politique, il est une des figures du service public durant la présidentielle de 2002, dans un style souriant et professionnel. Il est ainsi aux premières loges d’un des tournants de la campagne le 11 mars quand il interroge Jacques Chirac sur des propos tenus la veille par Jospin, le décrivant comme «vieilli, usé par l’exercice du pouvoir». «Des propos sur le physique, le mental, la santé… une technique qui s’apparente au délit d’opinion, presque au délit de sale gueule», rebondit le président sortant. Lionel Jospin reconnaîtra sa faute une semaine plus tard.
Au sein de la deuxième chaîne, l’ascension de Gérard Leclerc sera subitement freinée par l’arrivée d’Arlette Chabot à la direction de l’information en 2004. Elle lui fait alors porter le chapeau de l’information erronée du retrait de la vie politique d’Alain Juppé au 20 heures de France 2 : l’intéressé, tout juste condamné dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, annonçait l’inverse dans le même temps sur TF1. Gérard Leclerc avait le malheur d’être en vacances au moment des faits. Les années suivantes, le journaliste se consacre ainsi à une série de documentaires pour France 5 sur les candidats à la présidentielle de 2007, avant de prendre la tête du service politique de France 3 pendant deux ans.
Présence de longue date sur CNews
Passionné par la vie politique, il baigne dans les débats de l’Assemblée nationale entre 2009 et 2015 en devenant PDG de La chaîne Parlementaire (LCP), alors qu’elle vient de faire son arrivée sur la TNT. Il obtient le poste grâce à l’appui précieux du président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer (UMP) : le comité de sélection, composé de députés de tous bords chargés d’auditionner les candidats, avait initialement accordé sa confiance au président sortant, Richard Michel. Avant qu’Accoyer ne passe outre et propose le seul nom de Gérard Leclerc, qui sera ensuite approuvé par le bureau de l’Assemblée. La chaîne LCP a annoncé mercredi dans un communiqué préparer un hommage au journaliste à la rentrée.
Après cela, CNews lui tend la main à partir de 2017. Editorialiste politique dans la matinale, il sera aussi une des cautions de débat de la chaîne d’extrême droite, plus à gauche que le reste de ses camarades de plateaux de l’Heure des pros : ceux-ci ne se priveront jamais de railler ses positions moins outrancières sur le climat ou l’immigration. Mercredi matin, Pascal Praud a consacré une émission hommage à Gérard Leclerc, louant «un journaliste de talent habité par l’esprit de rigueur, inspiré par la volonté de nuance». Cette présence de longue date sur la chaîne de Vincent Bolloré a valu au journaliste des réactions émues de personnalités d’extrême droite, comme celles du président du RN Jordan Bardella ou d’Eric Zemmour, pour qui Gérard Leclerc «aimait le débat, détestait le sectarisme et était de ceux qui avaient eu le courage de faire partie de l’aventure de CNews dès le début».