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Proche-Orient

L’AFP prise à son tour dans une polémique sur l’emploi du mot «terroriste» pour qualifier le Hamas

Conflit israélo-palestiniendossier
Plusieurs élus de droite et d’extrême droite reprochent à l’agence de presse de ne pas reprendre à son compte cet adjectif depuis les attaques du 7 octobre, jusqu’à l’assimiler à Jean-Luc Mélenchon. Elle s’en justifie par sa mission consistant à apporter une information impartiale.
Un journaliste observe la bande de Gaza depuis la ville israélienne de Sderot le 18 octobre. (Jack Guez/AFP)
publié le 29 octobre 2023 à 17h55
(mis à jour le 29 octobre 2023 à 21h06)

Déjà sous tension depuis que des combattants du Hamas ont massacré près de 1 400 Israéliens le 7 octobre dans des attaques d’une violence sans précédent dans ce pays, le débat public français avait-il besoin de cette polémique supplémentaire ? Ce week-end, l’Agence France Presse (AFP) s’est retrouvée sous un feu roulant de critiques, issues aussi bien de la droite dite «républicaine» (Renaissance, LR) que de l’extrême droite (RN) pour cette simple raison : dans ses dépêches, celle-ci ne qualifie pas le Hamas de mouvement «terroriste».

«Bon ça suffit maintenant @afpfr ! Le Hamas est une organisation TERRORISTE, pas un «mouvement palestinien»», s’emporte samedi matin Benjamin Griveaux, figure du macronisme, ancien candidat à la mairie de Paris sur X (anciennement Twitter), en réaction à un tweet de l’AFP qui évoque effectivement le «mouvement palestinien Hamas». Citant ce même tweet, le sénateur LR Stéphane Le Rudulier estime que l’AFP participe d’une «banalisation du terrorisme». Invitée sur France 3 de l’émission Dimanche en politique, Marine Le Pen s’est aussi indignée du fait que «l’AFP, la grande agence de presse, financée avec des fonds publics, se refuse à indiquer que le Hamas est un groupement terroriste». Dénonçant «un effet révélateur des complaisances et même parfois des compromissions avec l’islamisme d’une partie du monde politique, journalistique, associatif, culturel», la patronne de l’extrême droite française estime que ne pas qualifier le Hamas de la sorte est «déjà une forme de complaisance à l’égard d’un groupe armé terroriste». Avant elle, son ancienne attachée de presse, la députée du Pas-de-Calais Caroline Parmentier, avait interpelé la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, car l’AFP est «financée en partie par l’Etat» – à hauteur d’environ un tiers en 2016, le reste provenant d’abonnements de médias français (dont Libération) et étrangers, qui ont ensuite le droit de reproduire ses dépêches.

Le «Figaro Magazine» en première critique

Benjamin Griveaux, Marine Le Pen, Caroline Parmentier et les autres bouillaient-ils déjà de colère envers l’AFP depuis plusieurs semaines ? Ou bien la puce leur a-t-elle été mise à l’oreille par la publication, la veille, d’un article du Figaro Magazine ? Vendredi, le magazine de droite s’est en effet ému d’une note de service de la direction de l’AFP, transmise aux équipes cette semaine, qui explique que le qualificatif «terroriste» est «proscrit» pour décrire le Hamas. Point de départ de l’article du Figaro Magazine : le fait que l’AFP ait attendu trois jours pour mentionner, dans une dépêche, les images d’horreur projetées par l’armée israélienne à la presse mondiale afin de documenter les atrocités commises par le Hamas. Un délai trop long aux yeux de l’hebdomadaire, qui déplore qu’«aucun responsable à la tête de l’agence n’a [it] semble-t-il jugé que le comportement des assaillants constituait en soi une information digne d’être diffusée immédiatement».

Face à cette suspicion, l’AFP a justifié son choix «d’intégrer ces éléments dans un long récit – d’un format exceptionnel de 2 000 mots – diffusé le 26 octobre et intitulé «7.10 : le samedi noir d’Israël», rassemblant de multiples témoignages et faits constatés sur le terrain.» Il suffit de lire cet article (reproduit par exemple ici), qui relate l’attaque du Hamas heure par heure, pour lever tout soupçon de dissimulation de la part de l’agence. On y lit par exemple ceci : «La vision des cadavres en cours d’identification à l’Institut national médico-légal de Tel-Aviv où l’AFP a pu pénétrer, est insoutenable. Les corps amoncelés sont affreusement mutilés, souvent méconnaissables, parfois calcinés, a constaté un journaliste de l’AFP.» Dès le deuxième paragraphe de la dépêche, on lit aussi : «Le Hamas, «organisation terroriste» pour l’Union européenne, les Etats-Unis et Israël, entame l’attaque la plus sanglante jamais perpétrée sur le sol israélien.» L’information est ainsi donnée que le Hamas est qualifié par certains de «terroriste».

Mise au point de l’AFP

Serait-ce le rôle de l’AFP de le reprendre à son compte ? Non, explique l’agence dans une mise au point publiée samedi. «Conformément à sa mission de rapporter les faits sans porter de jugement, l’AFP ne qualifie pas des mouvements, groupes ou individus de terroristes sans attribuer directement l’utilisation de ce mot ou sans utiliser des guillemets», explique-t-elle. Une règle conforme à sa mission qui est de fournir une information complète, recoupée et aussi impartiale que possible à des dizaines de médias qui, eux, ont tout le loisir de l’éditorialiser à leur guise. Quand le Figaro reçoit une dépêche qui mentionne le Hamas, rien ne l’empêche d’y accoler l’adjectif «terroriste». Mais que dirait le même Figaro si, par exemple, chaque dépêche mentionnant son ex-chroniqueur Eric Zemmour le qualifiait directement de «raciste», au lieu de rappeler quand c’est nécessaire que celui-ci a plusieurs fois été condamné pour ce motif ?

Dans son explication, l’AFP rappelle que «cette règle rédactionnelle a déjà été au cœur de vives discussions lors de la couverture de nombreux événements meurtriers par le passé», tels les attentats de l’Armée république irlandaise (IRA), le 11 Septembre ou les attentats en France en 2015. Mais elle demeure «fermement appliquée, même quand nos propres collègues ont été brutalement tués dans de telles circonstances». Et n’est pas exclusive à l’agence française. Le 11 octobre, le correspondant de la BBC chargé de l’international, John Simpson, un grand reporter et un monument de l’institution publique britannique, s’est justifié du fait que celle-ci n’employait pas le mot «terrorisme» au sujet du Hamas : ««Terrorisme» est un mot chargé, que certains utilisent pour décrire un groupe qu’ils jugent moralement inacceptable. Le rôle de la BBC n’est pas de dire aux gens qui ils doivent soutenir et qui ils doivent condamner». Constat partagé chez l’AFP, qui relève que «l’emploi du mot terroriste», qui a parfois visé des personnalités ensuite réhabilitées comme Nelson Mandela, «est extrêmement politisé et sensible».

Une couverture du conflit sans commune mesure

En témoigne la polémique qui oppose la France insoumise (LFI) à la quasi-totalité des autres partis politiques depuis que des membres du mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon refusent de qualifier le Hamas de mouvement «terroriste». Il faut d’ailleurs voir dans la dispute qui vise aujourd’hui l’AFP son prolongement direct. «Etes-vous l’Agence Mélenchon Presse ?» s’interroge finement la députée Renaissance Anne-Laurence Petel. A l’inverse, l’ancien candidat à la présidentielle s’est jeté sur les explications de l’agence pour saluer «sa rigueur sémantique», et donc la sienne au passage : «L’histoire nous donne raison.»

L’AFP s’échine pourtant à expliquer que sa mission ne consiste justement pas à donner raison à qui que ce soit. Simplement à apporter ce qui permettra ensuite au débat public de porter sur des faits communément admis. Dans sa mise au point publiée vendredi, l’agence rappelle qu’elle «mobilise au total sur le terrain plus de 40 reporters, texte, photo et vidéo, dont 14 envoyés spéciaux» pour couvrir les événements des dernières semaines. Un effort sans commune mesure avec le reste de la presse française, qui lui permet, au passage, d’être l’un des seuls médias à rapporter ce qui se passe à l’intérieur de Gaza. Cela mérite un minimum de respect.

Mise à jour à 19h35 : Ajout des propos de Marine Le Pen sur France 3.