C’est une assemblée générale très attendue qu’hébergera la mythique salle de spectacles des Folies-Bergère ce lundi 9 décembre à Paris. Les actionnaires de Vivendi doivent en effet se prononcer sur le projet de scission en quatre entités du géant français des médias et de l’édition, contrôlé par le milliardaire Vincent Bolloré. Cette réunion clé se tient à partir de 15 heures, avec trois résolutions mises au vote. Elles concernent respectivement les sociétés Canal +, Havas et Louis Hachette Group, qui ont vocation à devenir indépendantes de Vivendi. L’AG n’est pas une simple formalité : les deux premières résolutions doivent recueillir les deux tiers des voix, la troisième une majorité simple.
Si c’est bien un feu vert, alors à partir du 16 décembre le groupe Canal + sera coté à la Bourse de Londres, Havas (communication) à Amsterdam et Louis Hachette Group à Paris sur le marché Euronext Growth, régulé mais non réglementé. La holding Vivendi contrôlée par Vincent Bolloré restera en Bourse à Paris, et continuera de développer l’éditeur de jeux vidéo Gameloft qu’il détient à 100 %, et de gérer diverses participations minoritaires (Universal Music Group, Banijay, TIM, Prisa…).
«Libérer le potentiel de développement»
Concrètement, «si vous avez une action Vivendi, vous recevrez une action Canal +, une action Havas et une action Louis Hachette Group, et vous garderez votre action Vivendi», a expliqué le groupe aux actionnaires. Jeudi 5 décembre, Canal + a envoyé un signal au marché en annonçant le retrait à partir de juin 2025 de ses quatre chaînes payantes de la TNT (Canal +, Canal + Cinéma, Canal + Sport, Planète). Une manière d’alléger ses coûts, alors que le groupe est par ailleurs en proie à un redressement fiscal de 650 millions d’euros. La faute à un nouveau calcul de sa TVA par Bercy, passée depuis 2019 de 10 à 20 %, afin d’être aligné sur le modèle des plateformes de streaming par abonnement.
Quel est le but de l’opération ? Côté Vivendi, on affirme qu’il s’agit de «libérer pleinement le potentiel de développement de l’ensemble de ses activités», selon l’annonce, fin 2023, du groupe valorisé près de 8,9 milliards d’euros et qui compte quelque 73 000 employés. Car depuis qu’il s’est scindé d’Universal Music Group (géant de l’industrie musicale) en 2021, Vivendi dit subir une «décote de conglomérat très élevée», de près de 45 %. Autrement dit, le tout vaut moins que la somme des parties du mastodonte français. Et cette situation limite «ses capacités à réaliser des opérations de croissance externe pour ses filiales». Le groupe Bolloré, détenant actuellement 29,9 % de Vivendi, restera «un actionnaire de référence dans les quatre sociétés», qui «permettra de passer d’un modus operandi de “fratrie” aujourd’hui, à une forme de “cousinade” entre entités demain», comme l’a déclaré fin octobre aux Echos le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine.
«Contourner la loi boursière française»
Sauf que cette opération baptisée «Sanglier» dans les couloirs de Vivendi fait bondir certains petits actionnaires. En particulier le fonds activiste CIAM, qui détient 0,025 % du capital, et qui a lancé des actions tous azimuts pour bloquer cette scission. Pour ses deux fondatrices, Catherine Berjal et Anne-Sophie d’Andlau, dans un entretien à Challenges, la famille Bolloré cherche surtout à «contourner la loi boursière française» et à «renforcer son contrôle» au sein de Vivendi. Saisi en référé, le tribunal de commerce de Paris a refusé un report de l’assemblée générale de lundi demandé par le fonds activiste. En outre, la cour d’appel de Paris a été saisie, CIAM contestant un avis de l’Autorité des marchés financiers, le gendarme de la Bourse.
Selon le fonds, les «places étrangères ou moins réglementées» comme Londres ou Amsterdam permettront surtout à Vincent Bolloré, actionnaire de référence via son groupe éponyme, d’augmenter à l’avenir ses participations et donc de renforcer son «contrôle sur Canal +, Havas et Louis Hachette Group sans avoir à lancer d’offre publique» d’achat, tout en vidant «Vivendi de ses actifs essentiels». «Procès d’intention», rétorque Yannick Bolloré au fonds CIAM dans Challenges. A dire vrai, Vincent Bolloré n’a jusque-là jamais été contraint de lancer une offre publique d’achat obligatoire sur Vivendi, le milliardaire breton étant resté consciencieusement sous le seuil réglementaire des 30 %. Les actionnaires présents ce lundi seront-ils réceptifs à cette critique ? Toujours selon le magazine économique, plusieurs actionnaires minoritaires hésiteraient également à voter en faveur du projet.