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Disparition

Mort de Jean-Pierre Elkabbach: de l’ORTF à Canal+, un journaliste inoxydable du paysage audiovisuel

Le journaliste politique est mort à 86 ans. Figure médiatique des années 60 à aujourd’hui, le fameux intervieweur a vu défiler les puissants et passé la tête dans de nombreux médias, en particulier Europe 1.
Jean-Pierre Elkabbach lors d'une conférence de presse du groupe Lagardère Média, le 3 juin 2008. (Sébastien Calvet/Libération)
publié le 3 octobre 2023 à 21h40
(mis à jour le 4 octobre 2023 à 0h32)

Journaliste politique mythique de la télévision et de la radio, Jean-Pierre Elkabbach est mort mardi 3 octobre, selon des informations de Paris Match confirmées par Libération. Il avait 86 ans. «5 4 3 2 1, François Mitterrand est élu président de la République» : c’est au son de sa voix lugubre et à la vue de sa mine déconfite que les électeurs de gauche apprirent le 10 mai 1981 l’élection du premier chef de l’Etat socialiste. Le journaliste, assimilé aux années Giscard, savait qu’il était classé à droite et qu’il serait bientôt victime de l’alternance. Une «chasse aux sorcières» dénoncée sans relâche dans les colonnes du Figaro qui constitua un premier revers dans une carrière au long cours.

Né dans une famille juive à Oran en 1937, il avait douze ans quand son père mourut lors du Yom Kippour alors qu’il lisait une prière à la grande synagogue d’Oran. Se disant dès lors «juif laïc» il lui fit la promesse de rendre son nom célèbre. Il la tint.

Jean-Pierre Elkabbach fit ses premiers pas à l’ORTF au début des années 1960, avant de percer sur Antenne 2 dans les années 70 en duo avec Alain Duhamel à l’émission Cartes sur table. Une grand-messe politico-médiatique où défilaient les ténors de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre, Jacques Chirac mais aussi François Mitterrand et Georges Marchais.

Ses interviews avec ce dernier lui resteront collées à la peau, au point qu’on prêtera au leader du PCF une phrase – «Mais taisez-vous, Elkabbach» – aussi tonitruante qu’inexistante : c’est l’humoriste Thierry Le Luron qui en est l’auteur. Au terme du second mandat de François Mitterrand, il avait mené une longue série de conversations avec le président socialiste malade, débouchant sur un documentaire passionnant et crépusculaire, diffusé sur France 2 au mois de mai 2001 où on entendit Mitterrand évoquer les «forces de l’esprit».

Chasseur de dépêches

Nommé à la tête de France Télévisions dans les années 90, Elkabach occupera différents postes de direction au sein du groupe Lagardère Media, étant notamment président d’Europe 1 de 2005 à 2008, sans jamais s’éloigner du fauteuil d’intervieweur en chef de la matinale de la maison bleue. En 2017, Libé tirait le portrait de l’inoxydable intervieweur, revenu pour un dernier baroud sur CNews, la chaîne d’information de Vincent Bolloré. Notre journaliste Jérôme Lefilliâtre y écrivait : «Dans les années 70, il faisait des émissions sur «la sexualité des Français». Il n’empêche, la doxa le voit d’abord comme un intervieweur des puissants et des politiques, dont les connivences ont varié. Souvent écarté de l’antenne, il a toujours su revenir dans les petits papiers du pouvoir, sous Giscard, Mitterrand, Chirac. Sarkozyste zélé en 2007, il affirme, sous nos yeux incrédules, avoir voté Hollande en 2012 mais ne veut rien dévoiler de son prochain vote. Peut-être attend-il que le vainqueur soit désigné ? “Celui qui m’a formé est Mendès-France, martèle-t-il. Centre, centre gauche. Je suis réformiste.”»

Jean-Pierre Elkabbach était marié à la romancière Nicole Avril. Il est le père de l’actrice Emmanuelle Bach, qu’il a eue avec Holda Trinkle – dite Holda Fonteyn – en 1968.

Connu pour ses punchlines – au socialiste André Vallini «quelle couleur vous voulez pour le mur […] sur lequel votre réforme territoriale va se fracasser ?» ; à Marine Le Pen «Vous n’avez pas honte ?» – la figure d’Europe 1 était aussi un «avaleur de micro», pour lequel il était toujours demandeur de temps d’antenne supplémentaire. «Jean-Pierre Elkabach a rendu l’antenne», a ainsi annoncé en clin d’œil Michel Denisot, cœur noir triste en émoji à l’appui.

Dans sa dernière maison, Canal +, l’heure était aussi à la tristesse, à l’image de son directeur général Gérald-Brice Viret qui, dans un message posté sur X (anciennement Twitter), rendait hommage à «un ami», «un journaliste brillant»

Mais c’est son ancien binôme Alain Duhamel qui lui a rendu dans la soirée l’hommage le plus personnel et le plus documenté, dépeignant sur BFMTV un homme animé par le «tragique de l’histoire», autoritaire perfectionniste et capable de bucher une interview pendant des semaines. Un Elkabbach conscient de son statut de star mais toujours en quête de reconnaissance journalistique, ravi de voir une dépêche AFP reprendre une interview qu’il venait de réaliser. Malgré les décades passées sur les plateaux et devant les micros.