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Autisme

«Le Papotin» et ses journalistes atypiques désormais en kiosques

Vendu de manière informelle depuis sa création il y a trente-cinq ans, le magazine, écrit par des journalistes non professionnels ayant des troubles du spectre autistique, s’achète depuis ce mercredi 8 janvier en kiosques, annonce le groupe de presse Prisma Media.
En février 2023, «Libération» avait assisté à une conférence de rédaction du «Papotin», à Paris. (Albert Facelly/Libération)
publié le 8 janvier 2025 à 12h46

Le Papotin a sa routine. A chaque clôture de conférence de rédaction ou de tournage d’émission, le mot de la fin revient à Grégory. Entre remerciements adressés à chacun des «journalistes atypiques» (ils sont une cinquantaine, ça peut être long), toujours dans un grand sourire, Grégory lâche systématiquement cette petite phrase : «C’est le bonheur.» Ce mercredi 8 janvier, on imagine ce «bonheur» encore plus grand : après trente-cinq ans à se vendre de manière informelle, le Papotin se fait une place en kiosques aux côtés de dizaines de magazines professionnels. La success-story continue.

Jusqu’à présent, le magazine confectionné depuis 1990 par des journalistes ayant des troubles du spectre autistique, qui paraît environ une fois par an, ne pouvait s’acheter que sur Internet, ou dans une librairie du quartier Barbès à Paris, où travaille la voisine du psychologue qui coordonne la confection de chaque numéro. Vendu 10 euros et tiré à 10 000 exemplaires, son 42e numéro, qui consacre sa une au chanteur Philippe Katerine et à la survivante de la Shoah Ginette Kolinka, sera, lui, disponible «dans près de 3 000 points de vente à travers toute la France», annonce dans un communiqué le groupe de presse Prisma Media, qui soutient ce lancement à titre gracieux. Le directeur artistique des cérémonies des JO-2024 de Paris, Thomas Jolly, l’animatrice Daphné Bürki, l’ex-garde des Sceaux Christine Taubira ou la mannequin russe Natalia Vodianova figurent également au sommaire des 136 pages de cette édition fidèle aux précédentes, où de nombreuses personnalités se sont prêtées au jeu des interviews sans filtre et déroutantes.

Une «idée géniale» qui séduit les célébrités

Créé par Driss El Kesri en 1990, alors éducateur à l’hôpital de jour d’Antony, près de Paris, le Papotin repose sur un comité de rédaction composé d’une cinquantaine de journalistes non professionnels. L’idée lui était venue, nous racontait-il en 2023, lorsqu’il était tombé sur un article du Monde qui évoque le lancement d’un journal fait par des sans-abri à New York : «J’ai trouvé l’idée géniale, alors j’ai voulu la reproduire à mon échelle, avec deux principes simples : vient qui veut et la parole doit être recueillie telle quelle.» Un premier numéro paraît en mai 1990 avec une interview de l’artiste américain Howard Buten, de passage à Paris. «Ça a servi de lancement et très rapidement, d’autres célébrités sont venues.» Marc Lavoine, Valérie Lemercier, Zazie, Vincent Cassel, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac… Les gros noms se bousculent pendant des décennies au Papotin. Certains, comme la chanteuse Barbara, sollicitent même directement la rédaction pour être interviewés.

«Dès le début, c’était extraordinaire, témoigne Driss El Kesri. Ça permettait aux jeunes de se sentir inscrits dans un environnement, d’avoir une place de citoyens pleine et entière quand beaucoup étaient à l’époque exclus de la société. On leur dit tellement de faire ci, de changer ça… Au Papotin, on les accepte comme ils sont et on n’a pas envie de les transformer. Comme tout le monde, chacun a son potentiel, ses forces, ses faiblesses, réussit certaines choses et en rate d’autres. On veut valoriser ça.»

De la TV aux kiosques

Le Papotin avait pris un nouveau tournant à la rentrée 2022 avec une adaptation à la télévision sur une idée des réalisateurs Eric Toledano et Olivier Nakache (Intouchables, Hors normes, En thérapie…). Les Rencontres du Papotin, diffusée une fois par mois sur France 2, reprend avec brio la recette qui fait le succès du magazine depuis plus de trois décennies. Sous une nuée de caméras et dans un joyeux bordel, les journalistes cuisinent des personnalités heureuses de se voir poser des questions qui sortent de l’ordinaire. Dans les étages de l’Institut du monde arabe à Paris, où le tournage a lieu, il a ainsi été demandé à Gilles Lellouche s’il aimait le cassoulet, à Emmanuel Macron s’il avait «beaucoup de pognon», et un journaliste a fait remarquer à Camille Cottin qu’il ne se passait «pas grand-chose» dans la série Dix pour cent dans laquelle elle a joué.

Ce passage télévisuel, qui rassemble plusieurs millions de téléspectateurs, avait déjà permis au magazine d’élargir largement sa diffusion (autour de 3 000 à 3 500 ventes par numéro). Sollicité par l’équipe du journal, Prisma Media, premier groupe de presse magazine en France (Télé-Loisirs, Voici, Femme Actuelle, Geo, etc.), «a mobilisé ses différents partenaires» pour permettre sa diffusion chez les marchands de journaux, explique le groupe dans son communiqué.

«Ainsi, les MLP (Messageries lyonnaises de presse), le SNDP (syndicat national des dépositaires de presse) et Culture Presse (syndicat des diffuseurs de presse) ont tous trois accepté que le magazine soit diffusé gratuitement dans le réseau presse», selon Prisma Media, qui est également «intervenu auprès de l’imprimeur pour adapter le mode de production à l’augmentation de tirage». En revanche, «le travail éditorial reste exclusivement piloté par le comité de rédaction du Papotin», jure Prisma Media, dans le giron du milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré.