Il fait de moins en moins bon d’être journaliste dans l’Inde de Narendra Modi. Le sort réservé à Sébastien Farcis, notre correspondant à New Delhi, en est une nouvelle et regrettable preuve. Le 17 juin, il a été forcé de quitter le pays où il vivait et travaillait depuis treize ans, en tant que correspondant en Asie du Sud pour Libération, mais également RFI, Radio France et les radios publiques suisses et belges. «Il y a trois mois, le 7 mars, le ministère de l’Intérieur a refusé de renouveler mon permis de travail comme journaliste, m’empêchant d’exercer mon métier et me privant de tous mes revenus, explique Sébastien Farcis. Aucune raison n’a été fournie pour justifier cette interdiction de travail, malgré les demandes formelles et répétées faites auprès du ministère indien de l’Intérieur. J’ai également fait appel de cette décision, sans résultat.»
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Une nouvelle fois, mercredi, Libé a contacté l’ambassade d’Inde en France pour avoir des explications officielles. Celle-ci s’est seulement engagée à transmettre un mail à ses supérieurs à New Delhi. Dans un courrier expédié le 27 mars à l’ambassadeur à Paris, Dov Alfon, directeur de la publication et de la rédaction du journal, ainsi que Jean-Marc Four et Jean-Philippe Baille, respectivement directeur de RFI et de l’information de Radio France, les deux autres employeurs de Sébastien Farcis, demandaient déjà des précisions au sujet d’une décision «attentatoire à la liberté d’informer». Cette lettre est restée sans réponse.
«Censure incompréhensible»
Sébastien Farcis était en possession de tous les visas et accréditations nécessaires pour exercer son métier de journaliste. «J’ai respecté les règles en vigueur en Inde et n’ai jamais travaillé dans des zones restreintes ou protégées sans permis, précise notre correspondant. Cette interdiction de travail arrive ainsi comme un profond choc : elle m’a été communiquée à la veille des élections législatives indiennes, que je n’ai donc pas eu le droit de couvrir. Elle apparaît donc comme une censure incompréhensible.» Sébastien Farcis vit cette décision comme un «déchirement familial». Marié à une femme indienne, il avait le statut de résident permanent, appelé Overseas Citizen of India (OCI). «Je suis donc profondément attaché à l’Inde, qui est devenue ma deuxième patrie. Et cette interdiction nous pousse dehors sans explication, et nous déracine du jour au lendemain sans raison apparente.»
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Le cas de Sébastien n’est, hélas, pas unique. Vanessa Dougnac, une autre correspondante française qui travaillait notamment pour la Croix, a dû, en février, quitter l’Inde, son pays d’adoption depuis vingt-cinq ans. Au moins trois autres journalistes OCI ont été victimes des mêmes décisions. Ces restrictions et ces refus à l’encontre de la presse s’inscrivent dans un contexte inquiétant de restrictions croissantes au travail des reporters étrangers. Et illustrent le virage autoritaire de l’Inde de Modi, reconduit à la tête du gouvernement bien que son parti – le BJP – ait perdu la majorité absolue.
A la veille des élections législatives, le Comité pour protéger les journalistes avait alerté sur la situation de la presse en Inde. Il documentait la hausse des incarcérations de journalistes depuis l’arrivée au pouvoir de Modi en 2014. Rappelait le recours croissant en dix ans à la loi indienne antiterroriste sur les activités illégales, qui autorise la détention sans procès ni inculpation pour une durée pouvant aller jusqu’à 180 jours. Et listait des actes de censure, de harcèlement, de menaces, de perquisition. Un tableau sombre pour la plus «grande démocratie du monde».