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Libération
Disparition

Mort de Bernard Mourad, banquier atypique, compagnon de «Libération»

Passé par Morgan Stanley, le natif du Liban, un temps proche d’Emmanuel Macron, avait croisé la route du journal en 2015 à la direction du pôle de presse constitué par Patrick Drahi. Atteint d’un cancer, il mort ce 9 janvier à 50 ans.
Bernard Mourad, à Paris, le 15 janvier 2014. (Fred Kihn/Libération)
publié le 10 janvier 2025 à 16h04

Il y avait le CV brillant d’un jeune financier aux dents longues, banquier d’affaires idéal de la «start-up nation». Le major de Sciences-Po et HEC devenu «managing director» chez Morgan Stanley et figurant en 2014 dans les 40 étoiles montantes du journal Financial News. Et il y avait le côté face, l’insomniaque passionné d’écriture (il avait publié deux romans, écrit une pièce de théâtre) qui avait conçu à ses heures perdues mySOS, une application permettant d’appeler une aide de proximité en cas d’urgence.

Ce double visage avait d’abord chiffonné Libé, quand on l’avait rencontré pour un portrait de dernière page, bien obligé de constater : «La voix est douce, le débit calme, le ton apaisant. A des années-lumière du cliché du loup aux canines aiguisées qui colle à son activité.» C’était en janvier 2014, nous ignorions alors que Bernard Mourad allait recroiser rapidement le chemin du journal.

A la conférence de rédaction, café à la main

Car un an plus tard, le voilà qui quitte Morgan Stanley pour rejoindre la direction du pôle de presse constitué par Patrick Drahi (qu’il conseille depuis 2004). Un groupe dans lequel se trouve alors Libération. Au sein de l’équipe de cost-killers qui redressent le quotidien, il est le good cop. Celui qui, tout homme de chiffres qu’il soit, cache mal qu’il est aussi un homme de lettres. C’est que Bernard Mourad aimait la presse et adorait avoir un pied dans les deux mondes. Il assistait parfois, incognito, à la conférence de rédaction, café à la main, pour le plaisir de sentir un journal se faire, même s’il n’en épousait pas tous les combats. «Il était de loin le plus Libé compatible, se souvient Johan Hufnagel, qui codirigeait alors la rédaction. Parfois un peu moqueur vis-à-vis du journal, mais toujours avec bienveillance.»

Natif du Liban, détonant dans une famille où l’on est médecin de père en fils, Bernard Mourad ne restera pas longtemps dans les parages de Libé. Dès 2016, il rejoint l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron. Comme beaucoup, il en reviendra, mais il n’était pas rare que lors de ses premiers mois à l’Elysée, le nouveau président reçoive sur Telegram les messages cash de celui qui se permettait de lui donner du «mon lapin». «Il était vraiment de gauche», insiste Hufnagel, qui fondera avec lui Loopsider, média vidéo lancé en janvier 2018. Mourad s’apprêtait alors à prendre la direction de la filiale française de Bank of America.

Teddy Riner, Stéphane Fouks, Léa Salamé ou… Chantal Goya

Au carrefour de mille mondes (la banque, les médias, l’édition, le Liban, la politique), il tenait table ouverte chaque année, début octobre, dans le XVIe arrondissement pour son anniversaire. Passait qui voulait, cinq heures ou cinq minutes. Se croisaient des écrivains, des politiques, Teddy Riner, Stéphane Fouks, Léa Salamé ou… Chantal Goya pour laquelle il assumait une profonde affection. Ces dernières années, les rendez-vous étaient devenus un défi pour celui qui était rongé par un cancer intestinal. A l’instar du patron de Publicis, Arthur Sadoun, il avait choisi de publiciser sa maladie, luttant pour lever le tabou du cancer au travail. Face caméra, pour Loopsider, il ne cachait rien, en février 2023, de ce qu’était le cancer au quotidien. «La moitié d’entre nous auront à vivre un cancer dans leur vie, vous n’avez pas à avoir honte.» Brillant, grande gueule, Bernard Mourad est mort jeudi 9 janvier. Il avait 50 ans.