Les motifs fleuris de la nappe contrastent avec la mine sérieuse des personnages. Nous sommes le 4 janvier 1973, à la Maison verte dans le XVIIIe arrondissement de Paris et derrière une table bancale, sur une scène tendue d’un rideau sombre, on annonce qu’il est temps «que paraisse un quotidien démocratique». Tout le poids de la brochette des fondateurs de Libération repose sur les épaules de Jean-Paul Sartre. Silhouette frêle, le vieux philosophe, caution intellectuelle de l’entreprise, n’est pourtant pas au centre de la table. Celui qui paraît être le protagoniste de cette conférence de presse, col roulé sous la veste, est assis à la gauche du philosophe, semblant même prendre également le pas sur son autre voisin, un certain Serge July, arrivé dans l’aventure à peine plus d’une semaine avant le 28 décembre. Il s’appelle Jean-Claude Vernier. Et si, un an plus tard, il quitte le navire, on ne lui en doit pas moins, avec Jean-René Huleu (en bout de table ce jour de janvier 1973), une grosse part de la naissance de Libération.
Libération, c’est sans doute son idée. Il faudra ensuite tout le talent de ceux qui, Serge July en tête, lui ont donné une âme et un corps, et tout le travail de ceux qui l’ont écrit et composé, jour après jour, mais Vernier et Huleu sont incontestablement à l’origine de l’aventure et leur rencontre, fortuite, apparaî