Il aimait les faits divers et le monde rural où il avait grandi. Dans les colonnes de Libération, en tant que correspondant dans la Somme, il a publié pendant une trentaine d’années des dizaines de reportages superbement écrits sur les fêlures du quotidien, plus ou moins dramatiques : accidents, meurtres, querelles de clochers, incestes… Mais aussi des chroniques judiciaires ou des portraits insolites et pleins d’empathie, comme cette femme trans (un mot inconnu dans les années 80) qui était devenue éleveuse. Ou des superstitions locales comme les «arbres à loques», aux branches desquelles les mères accrochaient les linges d’enfants malades pour les aider à guérir.
Sylvestre Naour avait grandi dans une ferme à Saint-Thurien, dans le Finistère. Il connaîtra les engagements et les combats de sa génération : il avait 20 ans en 1968. Entré au Courrier Picard à la fin des années 70, il participe à l’expérience originale que mène le quotidien basé à Amiens : ancré à gauche (c’était une des deux seules Scop de presse en France, un journal organisé sous forme de coopérative), il se distingue par un esprit libertaire, une impertinence et une créativité rares dans le paysage de la presse régionale. Le Canard enchaîné parlera d’un «Libé des campagnes».
Rencontres sur le zinc
Longtemps chargé des «infos géné» et de la une du journal, en plus de ses reportages, Sylvestre Naour était aussi un noctambule qui, une fois les pages bouclées, finissait la soirée dans les bars ouverts tard, où il buvait les paroles des habitués ou des inconnus : flics et dealers, avocats et prostituées, boxeurs et rockers. Bon nombre d’idées d’articles naissaient de ces rencontres sur le zinc, devant un demi ou un ballon de rouge.
Après vingt-six années passées dans la Somme et remis d’un cancer, il réinvente sa vie et retrouve sa région d’origine. Installé à Lorient, il continue à proposer ses articles à Libération et se passionne pour l’écriture radiophonique : il collabore aux Nuits magnétiques sur France Culture et produit une émission qui fera date : les Enfants du crépuscule. A travers de nombreux témoignages et après des mois d’enquête, il retrace l’histoire des enfants naturels de son village, nés du droit de cuissage exercé par les riches fermiers sur leurs domestiques. «Un gamin de maintenant aurait l’impression qu’on lui parle du Moyen Age, alors que tout ça s’est déroulé il y a cinquante ans», confiait-il alors à Ouest-France en 2015.
Pour de nombreux jeunes rédacteurs qui ont croisé son chemin, Sylvestre Naour a été un guide bienveillant et exigeant, et la preuve vivante qu’un journalisme original et rigoureux pouvait exister. Sa silhouette à chapeau ne hantera plus les bars de nuit : il est mort le 24 décembre, à 75 ans, annonçait mardi son ancien journal.