ChatGPT n’existait pas encore que le problème du plagiat s’immisçait déjà dans les thèses d’étudiants. En l’occurrence, ici, pas n’importe laquelle. Celle du philosophe des sciences Etienne Klein, soutenue en 1999 et publiée en livre sous le titre l’Unité de la physique (Puf, 2000). Au total, d’après un article d’Arrêt sur images (ASI) paru lundi 5 août, sur 429 pages de texte, 88 contiennent des passages plagiés. Soit environ 20 %.
Ce n’est pas la première fois que le physicien, tête d’affiche de France Culture avec son émission «La conversation scientifique», se fait pincer. En 2016, l’Express s’étonnait de certains copier-coller d’écrivains célèbres dans son livre le Pays qu’habitait Albert Einstein (Actes Sud). Ce qui n’empêchait pas le journal de lui accorder une chronique en 2022. Avant de la lui retirer, deux ans plus tard, à la suite d’un article d’ASI, déjà.
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Dans le détail, Arrêt sur images, qui a enchaîné les allers-retours dans des bibliothèques pour ses investigations, repère différents types de contenus plagiés par le vulgarisateur. Le doctorant, alors âgé de 41 ans, semblait privilégier les grands noms, tels que les prix Nobel Louis de Broglie ou Albert Camus. Pour décrire des philosophies plus anciennes, telles que celles d’Aristote pour Thomas d’Aquin, il pompait l’Encyclopædia Universalis. Et parfois, piochait dans les Que sais-je sur les Théories de la connaissance ou les Grands Problèmes métaphysiques.
Pas de guillemets, pas d’auteur nommé… Pour rendre le plagiat plus discret, ASI estime qu’Etienne Klein a parfois fait usage d’un subterfuge : mentionner une fois l’auteur, puis lui emprunter des pages entières sans plus jamais le renommer. Ainsi, le philosophe aurait repris cinq pleines pages d’un article du physicien américain Gerald Holton. Une technique qu’il déploie aussi pour un membre de son propre jury de thèse, Michel Paty.
Des plagiés pas si outrés
On aurait pu s’attendre à de l’indignation de la part des plagiés. Finalement, auprès d’ASI, plusieurs se montrent compréhensifs. Si le philosophe belge Lambros Couloubaritsis reconnaît qu’il aurait été «plus logique (pour ne pas dire plus honnête) que ces emprunts soient accompagnés d’une note ou de guillemets», il défend le physicien : «Sa thèse sur l’unité a été inspirée par mon travail sur l’Un et le Multiple. Qu’il s’agisse d’enseignement ou de séminaires communs ou qu’il s’agisse d’inspirations, il n’est pas anormal que des personnes ne se rendent plus compte de ce qu’ils empruntent, et cela peut arriver à chacun de nous dans ces circonstances.» Lui-même d’ailleurs aurait parfois utilisé des idées issues de ses chercheurs «sans toujours voir les limites».
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Même indifférence quant à cette affaire du côté d’un philosophe français, resté anonyme : «J’adhère à l’esprit des Lumières qui croyait, avec Kant lui-même, que lorsqu’on s’exprime au nom de la raison, il n’est nul besoin de rendre à César ce qui n’appartient pas à César. L’attachement à la notion d’auteur m’est assez étranger et la propriété intellectuelle pollue selon moi les esprits plus qu’elle ne les porte à la création.»
Quant au principal intéressé ? S’il a refusé de répondre à ASI, il partage un long communiqué sur son compte X (ex-Twitter). Préférant davantage tancer l’un des journalistes à l’origine de l’article que de répondre aux accusations lancées. «Celui qui s’est soudainement pris de passion pour mes textes se positionne lui-même dans le camp de la pureté, s’offre en somme une autopromotion sur le dos de sa cible», accuse-t-il, tout en évoquant une «sorte d’acharnement». Seul aveu de culpabilité de la part du sexagénaire : «Je n’étais pas aussi rigoureux qu’aujourd’hui.» Une brève confession, noyée au milieu d’extraits d’Emile Zola et de Luis Borges. Qu’il cite entre guillemets, ce coup-ci.