CNews pourra-t-elle continuer à diffuser en boucle des débats sur l’insécurité et l’immigration en invitant des commentateurs de droite et d’extrême droite ? Pas sûr. Ce jeudi 18 juillet, l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, a dévoilé sa délibération dans l’application de la très commentée décision du Conseil d’Etat du 13 février, découlant d’un recours de Reporters sans frontières sur le cas de la chaîne de Vincent Bolloré. Elle introduit un nouveau concept : le contrôle d’un éventuel «déséquilibre manifeste et durable au principe du pluralisme», selon la présentation du président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, à la presse ce jeudi. Pour juger de ce déséquilibre dans les opinions et les courants de pensée sur les plateaux, le régulateur s’appuiera sur un faisceau d’indices. Trois en particulier : la diversité des intervenants, des thématiques dans la durée ou des points de vue qui sont exprimés. Le contrôle s’effectuera sur une période d’un mois pour les chaînes d’information en continu, et sur une période de trois mois pour les autres chaînes. «Les diligences du régulateur porteront en priorité sur les programmes d’information et ceux qui concourent à l’information, même si la décision du Conseil d’Etat vise l’ensemble des programmes», a ajouté Roch-Olivier Maistre.
Par ailleurs, sera aussi considérée «l’obligation d’assurer l’expression des différents points de vue dans la présentation des questions prêtant a controverse», selon la délibération publiée sur le site de l’Arcom. Le respect du principe de pluralisme politique, avec le décompte des différentes personnalités s’exprimant à l’antenne, continuera d’être respectée. Mais pour la notion de «déséquilibre manifeste et durable» du respect du pluralisme, nul besoin pour les chaînes de communiquer une liste d’intervenants ou de thématiques. Le contrôles s’effectuera a posteriori, une fois l’Arcom saisie. «Les chaînes pourront donner des éléments pour éclairer ou contester ce qu’on aura pu constater», a cependant appuyé le membre du collège de l’Arcom Denis Rapone.
Pour rappel, le Conseil d’Etat avait, le 13 février, enjoint l’Arcom de reconsidérer une saisine de RSF datant d’avril 2022 et pointant «l’inaction» de l’autorité face aux «manquements» de la chaîne de Vincent Bolloré. La réponse du régulateur vis-à-vis de cette saisine sera d’ailleurs communiquée à l’ONG dans les jours à venir, à l’aune de la délibération communiquée jeudi. Mais, en considérant ce cas particulier, le Conseil d’Etat avait surtout plus généralement incité l’Arcom à mieux contrôler le respect du pluralisme à la télévision et à la radio, en faisant évoluer l’interprétation de la loi sur l’audiovisuel de 1986, en ne se limitant plus au seul décompte des temps de parole des personnalités politiques. «Le pluralisme politique, oui, mais ce contrôle doit aller au-delà», a ainsi expliqué Roch-Olivier Maistre. Ainsi, le Conseil d’Etat les incitait à élargir ce contrôle à tous les courants de pensée et d’opinion de tous les intervenants qui s’expriment sur une chaîne.
Vaste chantier qui avait provoqué quelques crispations : certains prévoyaient déjà un catalogage des journalistes et invités non-politiques. «Cette délibération affirme d’emblée la volonté du régulateur de préserver la liberté éditoriale des chaînes, a rappelé Roch-Olivier Maistre jeudi. Pas question pour le régulateur de cataloguer, ficher ou étiqueter les invités ou les animateurs présents sur les plateaux.» CNews et l’orchestre des médias Bolloré avaient hurlé de leur côté à la censure, se présentant en martyrs de la liberté d’expression – la décision s’applique pourtant à toutes les chaînes.
Dans un communiqué, Reporters sans frontières a salué jeudi, par la voix de son nouveau directeur général Thibaut Bruttin, «cette délibération qui va dans le sens de ses demandes formulées dans le cadre du contentieux qui l’opposait à l’Arcom : regarder non seulement qui parle mais de quel sujet on parle et comment on en parle à l’antenne». «L’appréciation du pluralisme limitée au seul décompte du temps de parole était de toute évidence restrictive, comme notre association l’exposait depuis trois ans, ajoute-t-il. Cette délibération devra, à l’avenir, permettre de sanctionner les éditeurs qui contournent leurs obligations de pluralisme découlant de la loi de 1986 et réduisent leurs programmes à une succession de commentaires à l’unisson sur des thèmes ressassés.»
Reporters sans frontières regrette cependant «que cette délibération intervienne tardivement à un mois de la fin du délai donné pour appliquer la décision du Conseil d’Etat et en plein processus de réattribution des fréquences TNT, dans un contexte post-électoral qui a montré le besoin de pluralisme.» Roch-Olivier Maistre a indiqué jeudi que la délibération aurait initialement dû être dévoilée en juin, mais a finalement été décalée à cause des législatives anticipées, puis des auditions dans le cadre du renouvellement des fréquences TNT qui se sont achevées mercredi.