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Qui est Jean-Martial Lefranc, l’homme d’affaires «touche-à-tout» potentiel acquéreur de «Marianne» ?

Producteur de cinéma et concepteur de jeux vidéo, l’entrepreneur lillois est entré en négociations exclusives ce jeudi 18 juillet avec le groupe CMI pour le rachat de l’hebdomadaire souverainiste. Fort d’une vingtaine d’années dans la gestion de journaux, Jean-Martial Lefranc s’est posé en alternative au milliardaire d’extrême droite Pierre-Edouard Stérin.
Jean-Martial Lefranc lors de la cérémonie des Ping Awards, en 2018 à Paris. (DR)
publié le 18 juillet 2024 à 18h59

Jean-Martial Lefranc aura attendu patiemment son heure pendant des semaines. Depuis la mise sur le marché de Marianne mi-avril, le Lillois de 62 ans a fait savoir au groupe CMI détenu par le magnat tchèque de l’énergie, Daniel Kretinsky, par ailleurs créancier de Libération, son intérêt pour racheter le magazine hebdomadaire souverainiste. Son offre a longtemps été estimée trop fragile financièrement par CMI et les salariés de Marianne, surtout comparée à celle du milliardaire Pierre-Edouard Stérin, en pole position sur ce dossier jusqu’à un revirement spectaculaire de la rédaction fin juin. Après l’abandon des discussions avec l’homme d’affaires proche du Rassemblement national, Jean-Martial Lefranc est revenu dans le jeu, jusqu’à obtenir l’ouverture de négociations exclusives avec CMI ce jeudi 18 juillet pour l’acquisition du magazine. Si Marianne constituerait alors à coup sûr son acquisition la plus notable jusqu’ici, l’homme n’est pas un novice dans la presse.

Du jeu vidéo au cinéma

Diplômé d’une maîtrise de droit à Sciences-Po Paris, Jean-Martial Lefranc, touche-à-tout, a partagé sa carrière entre le cinéma, les jeux vidéo et les médias. Des passions que l’on retrouve dans sa holding Financière de Loisirs, société éditrice de plusieurs magazines spécialisés. Parmi ces titres qui n’ont rien à voir entre eux, on repère aussi bien Beef ! tourné vers la viande, le mensuel de cinéma l’Ecran fantastique ou encore Retro Games Collection, pour les nostalgiques du jeu vidéo à l’ancienne. Dès la fin des années 80, Jean-Martial Lefranc s’est ainsi intéressé aux médias, prenant notamment la direction de l’antenne de la très éphémère chaîne TV6. Plus récemment, en 2018, il a également été président du syndicat des éditeurs de presse indépendants (SAEP).

Ses débuts d’entrepreneurs datent cependant de 1992 : Jean-Martial Lefranc se lance alors dans la production et la conception de jeux vidéo. Pari réussi. Sa société Cryo Interactive Entertainment entre à la Bourse de Paris en 1998. Passé par une bataille juridique avec Canal + sur la création d’un «Deuxième monde» à base de CD-Roms (sorte de métavers des années 90), Jean-Martial Lefranc lance également une filiale, nommée Cryonetworks destinée à exploiter l’activité de jeux en ligne. Il s’associe même, au tournant des années 2000, à Bac Majestic, producteur et exploitant de salles de cinéma. Fragile financièrement, Jean-Martial Lefranc finit par s’en sortir en cédant Cryo en 2002. Ce qui lui permet de rebondir, cette fois dans le monde du cinéma. En plus de produire des longs métrages, cet admirateur de Costa-Gavras s’essaie à l’écriture et même à la réalisation, notamment avec L’Equilibre de la terreur en 2006.

«Créativité constante»

Dans les médias, il tente son premier gros coup en 2008. Jean-Martial Lefranc fait partie des candidats qui souhaitent racheter les Cahiers du Cinéma au groupe le Monde. Sans succès. Alors il se console, un an plus tard, en rachetant (toujours au même groupe) l’éditeur de publications pour enfants Fleurus presse. Baisse des frais d’impression, réduction drastique des salariés… Jean-Martial Lefranc restructure en profondeur l’éditeur puis réalise une plus-value en le revendant quelques années plus tard, en 2015, au groupe Unique Heritage Media. Une bascule qu’il souhaiterait reproduire avec Marianne ? Son offre, rehaussée à 8,5 millions d’euros, s’appuie sur plusieurs investisseurs, notamment Henri de Bodinat, ancien patron de Sony Music et du Club Med, qui a aussi relancé le magazine Actuel avec Jean-François Bizot en 1979, ou l’homme d’affaires trentenaire Joan Beaufort, qui a fait fortune dans le marketing digital et les jeux vidéo.

«La meilleure garantie de pérennité d’un titre de presse est de mettre en œuvre la pratique que je mène depuis près de vingt ans en la matière : respect scrupuleux de l’ADN du titre et créativité constante dans l’évolution de son modèle d’affaire», écrivait Jean-Martial Lefranc fin juin dans un mail à la rédaction. Son offre s’accompagnerait ainsi d’un non-remplacement des journalistes partants grâce à la clause de cession (un mécanisme propre à la presse qui autorise les journalistes à quitter l’entreprise avec des indemnités en cas de changement d’actionnaire). Ce qui inquiète les salariés du magazine : Jean-Martial Lefranc, «ce serait plutôt bien pour l’indépendance de Marianne, mais dangereux pour sa survie économique», expliquait récemment un salarié.