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Libération

Radio France accusée de vouloir se gaver de publicité

Radio France, la grève et après ?dossier
Alors que l’Etat envisage un déplafonnement des recettes publicitaires de l’entreprise publique, jusqu’alors limitées à 42 millions d’euros par an, les radios privées s’y opposent. Elles craignent un déséquilibre du marché à leur désavantage.
La Maison de la radio à Paris, le 23 avril. (Thomas Coex/AFP)
publié le 4 février 2021 à 20h33

Bientôt démoli, le plafond limitant les recettes publicitaires de Radio France à 42 millions d’euros par an ? Près de cinq ans après s’être ouverte à la pub, l’entreprise publique pourrait bien aller y gratter encore un peu plus de revenus. C’est en tout cas le sens que prend le nouveau contrat d’objectifs et de moyens (COM) de Radio France, élaboré sous la tutelle du ministère de la Culture. Un texte récemment soumis pour avis à des commissions parlementaires et au CSA et qui définit les orientations stratégiques et budgétaires de la radio publique pour la période 2020-2022. L’idée n’est pas d’augmenter le nombre de spots publicitaires pour crèmes anti-âge et mobilier design sur France Inter, France Info ou France Bleu (les trois seules antennes publiques habilitées à en diffuser), mais bien de pouvoir les faire payer plus cher aux annonceurs. Radio France a les arguments pour ça : les audiences de ses antennes grimpent en flèche ces derniers mois.

Le projet a immédiatement provoqué une levée de boucliers des radios privées, aux aguets sur le sujet. Lundi, le Bureau de la radio (organisation dont font partie RTL, NRJ, RMC et Europe 1), le Sirti (le syndicat des radios indépendantes) ainsi que Radio classique et Skyrock, ont dénoncé dans un communiqué commun une «remise en cause des équilibres du marché publicitaire radiophonique». Les radios privées craignent en effet qu’en faisant sauter ce plafonnement, le service public augmente ses recettes à leur détriment. Et ce, alors que le marché publicitaire tire déjà la tronche, et que ces radios attendent toujours le versement d’un fonds de soutien exceptionnel promis par le gouvernement. Selon Alain Liberty, le président du Sirti, interrogé par RTL, le gâteau publicitaire radiophonique représenterait aujourd’hui «550 millions d’euros pour faire vivre 330 radios en France».

Avis défavorable du Sénat

Dans leur communiqué, les radios privées affirment aussi que Radio France «a systématiquement dépassé ce plafond [de 42 millions d’euros annuels, ndlr], au mépris de ses engagements et sans aucune réaction de son ministère de tutelle». L’entreprise publique est accusée de procéder à un tour de passe-passe dans ses recettes publicitaires, en distinguant ses clients commerciaux et les «messages d’intérêt général» (qui peuvent être des spots pour l’assurance maladie ou le Secours populaire). Avec ces derniers, Radio France a par exemple effectué 7,4 millions d’euros de recettes en 2019. Ajoutés aux 41 millions d’euros de recettes commerciales, l’entreprise publique aurait en réalité engrangé 48,4 millions d’euros de recettes publicitaires au total cette année-là, comme le soulignait Capital en juin. Enfin, les radios privées s’étonnent que le déplafonnement ait été envisagé sans aucune consultation préalable du secteur.

Elles ne sont pas les seules à critiquer la manœuvre : la semaine dernière, la commission de la culture du Sénat avait émis un avis défavorable sur ce projet de COM de Radio France. Selon elle, il rompt «les engagements pris envers les radios privées qui seront directement touchées». Et le CSA, qui a toutefois émis un avis positif sur ce nouveau COM, a également rappelé au gouvernement «la nécessité de préserver les équilibres concurrentiels sur le marché publicitaire».

Radio France en défense

Mardi, Radio France a contre-attaqué dans un communiqué : «Ni son volume très limité ni le positionnement singulier des antennes de Radio France sur le marché publicitaire, n’est de nature à ponctionner les ressources publicitaires des radios commerciales aujourd’hui comme demain.» L’entreprise publique rappelle notamment que les créneaux de diffusion sont «strictement encadrés», ce qui limiterait mathématiquement les recettes potentielles, et que «44% des annonceurs sont interdits de campagnes promotionnelles sur les antennes du service public», dont la grande distribution par exemple.

Le groupe assure par ailleurs avoir «toujours respecté le plafonnement en ressources qui lui était fixé», contestant ainsi le calcul que lui opposent les radios privées. Enfin, Radio France affirme que sa place sur le marché publicitaire «est très modérée», à 3 % du chiffre d’affaires total pour plus de 30 % de la part d’audience globale radio. «Ces 3% correspondent à des données brutes, pas à la valeur nette sur le marché», réfute Anne Fauconnier, déléguée générale du bureau de la radio, dans le Figaro. Les radios privées estiment que la part de marché réelle de Radio France se situe plutôt aux alentours de 8 %.

La présidente de Radio France, Sibyle Veil, a répété ces arguments mercredi lors d’une audition de tous les acteurs de l’audiovisuel public à l’Assemblée nationale. Elle a aussi annoncé craindre que les annonceurs se rabattent «demain vers des médias numériques ou des Gafa» plutôt que sur Radio France. «Je crois que la suppression de ce plafond ne peut pas porter atteinte à l’équilibre du marché publicitaire de la radio», a-t-elle conclu. Dans la foulée, les députés, contrairement aux sénateurs, ont donné un avis favorable aux contrats d’objectifs et de moyens des cinq entreprises de l’audiovisuel public, dont Radio France. De quoi, en déplafonnant ses recettes publicitaires, amortir la baisse des subventions de l’Etat, de 20 millions, à la maison ronde, entre 2018 et 2022.