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Revirement à «Marianne» : la rédaction se prononce contre l’offre de Pierre-Edouard Stérin et se met en grève

Tandis que les négociations avec le milliardaire d’extrême droite devaient aboutir en fin de semaine par un rachat de l’hebdomadaire, les salariés se sont opposés jeudi à la transaction, à cause de la proximité du potentiel acquéreur avec le Rassemblement national.
«Les derniers éléments portés à notre connaissance concernant Pierre-Edouard Stérin rendent les garanties d’indépendance obtenues par la rédaction insuffisantes pour exercer notre métier avec sérénité», écrivent les salariés de Marianne dans leur communiqué. (Joel Saget /AFP)
publié le 27 juin 2024 à 13h49
(mis à jour le 27 juin 2024 à 23h00)

Une volte-face de dernière minute. Les salariés de l’hebdomadaire Marianne, en passe d’être racheté par le milliardaire d’extrême droite Pierre-Edouard Stérin, ont annoncé ce jeudi 27 juin au soir dans un communiqué avoir «voté une grève reconductible de 24 heures, qui débutera vendredi 28 juin à 6 heures du matin». Plus tôt dans la journée ils avaient déclaré s’opposer, à l’unanimité, à l’offre du créateur des Smartbox. La cause ? Un article du Monde publié jeudi détaillant les nombreux liens entre les proches de Pierre-Edouard Stérin et la campagne du Rassemblement national pour les législatives anticipées. Le quotidien expose notamment le rôle central du financier François Durvye, numéro 2 de Stérin au sein de son fonds d’investissement Otium Capital, et qui conseille Marine Le Pen sur son programme économique. Libération avait déjà raconté en mars dernier son appartenance aux Horaces, ce club d’influence qui travaille depuis des années à la victoire du RN. En cause également, Alban du Rostu, directeur général du Fonds du bien commun et émissaire de Stérin auprès des salariés de Marianne. Selon le Monde, il aurait proposé son aide à Eric Ciotti. «C’était avant l’annonce de son alliance avec le RN», précise Alban du Rostu à Libération, qui ajoute que ces échanges se sont faits «à titre personnel», en tant qu’«adhérent LR depuis des années». Autre élément nouveau qui a fait changer d’avis les salariés de l’hebdomadaire, le «financement indirect» de la famille Le Pen «par l’achat d’un bien immobilier», soit la villa de Jean-Marie Le Pen à Rueil-Malmaison pour 2,5 millions d’euros.

«Les derniers éléments portés à notre connaissance concernant Pierre-Edouard Stérin rendent les garanties d’indépendance obtenues par la rédaction insuffisantes pour exercer notre métier avec sérénité, écrivent les salariés de Marianne dans leur communiqué. Ce qui apparaissait comme un engagement idéologique individuel se révèle être une entreprise partisane […] La nature de l’offre de reprise s’en trouve définitivement altérée.» La rédaction de l’hebdomadaire demande alors à son actuel propriétaire Daniel Kretinsky (par ailleurs créancier de Libération), et à son bras droit Denis Olivennes, de «mettre fin au processus de négociation et de se mettre en quête de nouveaux acquéreurs». Selon un journaliste de Marianne, Denis Olivennes aurait annoncé venir à la rencontre des journalistes jeudi après-midi à 15 heures.

Nouveaux acquéreurs ?

Le revirement des salariés de Marianne est d’autant plus inattendu qu’il intervient après un vote, vendredi dernier, dans lequel la majorité de la rédaction (60,3 % des votants) n’avait pas exprimé d’opposition de principe à l’offre de Pierre-Edouard Stérin. La période de négociations exclusives entre le groupe CMI (qui détient Marianne) et le milliardaire doit par ailleurs s’achever le 30 juin. Et, aussi bien côté CMI que côté Stérin, plus aucun obstacle ne semblait s’opposer à la transaction, si ce n’étaient de simples détails sur les garanties négociées avec la rédaction. Tant et si bien que les différentes parties laissaient entrevoir la concrétisation de cette affaire avant la fin de semaine.

De nouveaux acquéreurs peuvent-ils se montrer intéressés par Marianne ? La mise sur le marché de l’hebdomadaire, en avril, avait attiré peu de monde. Outre Stérin, l’homme d’affaires Jean-Martial Lefranc, ancien patron de Fleurus presse et éditeur du magazine l’Ecran Fantastique, se disait toujours dans la course ces derniers jours, au point de remettre une offre à CMI mercredi. Pour la financer, il est allé chercher plusieurs associés, dont les identités ont été révélées lundi par la Lettre. Il s’agit de Philippe Corrot, fondateur de la licorne Mirakl, un éditeur de plateformes de marketplace, d’Henri de Bodinat, ancien patron de Sony Music et du Club Med, qui a aussi relancé le magazine Actuel avec Jean-François Bizot en 1979, et enfin de l’homme d’affaires trentenaire Joan Beaufort, qui a fait fortune dans le marketing digital et les jeux vidéo. Suffisant pour convaincre CMI et la rédaction ? Des deux côtés, de gros doutes subsistaient encore ces derniers jours sur ses capacités de financement.

Mise à jour à 23 heures avec l’annonce de la grève des salariés et des précisions sur les contacts d’Alban du Rostu avec le parti Les Républicains.