Dans une salle d’attente, quatre chaises sont disposées contre un mur, avec deux hommes, habillés de manière identique, assis côte à côte au milieu. Seule différence : l’un est noir, l’autre est blanc. Où les cobayes vont-ils s’asseoir ? Ça ne manque pas : quatre participants successifs s’installent sur la chaise à côté de l’homme blanc. Sont-ils influencés par la configuration de la pièce ? Les deux hommes échangent alors leurs places. Et là aussi, les participants choisissent – à une exception près – de s’asseoir à côté de l’homme blanc.
Sorte de confessionnal
Voilà le genre de séquence au cœur de l’émission Sommes-nous tous racistes ?, diffusée ce mardi 17 juin sur France 2, et suivie par deux documentaires : Noirs en France et Je ne suis pas chinetoque : histoire du racisme anti-asiatique. Le dispositif s’articule autour d’expériences bien connues dans le domaine des sciences sociales, se penchant sur l’influence des préjugés racistes et, plus largement, des discriminations sur nos comportements – une autre séquence s’intéresse ainsi à la glottophobie, soit les stéréotypes attachés à certains accents.
Les 50 participants volontaires n’ont pas connaissance du sujet de l’émission, et pensent prendre part à des tests sur les «mystères du cerveau», pour un programme présenté par Jamy Gourmaud. Pendant ce temps-là, en coulisses, la présentatrice Marie Drucker décrypte les différentes expériences en compagnie de l’acteur-réalisateur Lucien Jean-Baptiste, grand témoin de l’émission, et du psychosociologue Sylvain Delouvée, maître de conférences à l’université Rennes 2.
Interview
Dispositif ingénieux et efficace, adapté à l’époque avec son mélange de télé-réalité (les cobayes commentent même les expériences dans une sorte de confessionnal) et de «react», ce format en vogue sur Twitch ou YouTube dans lequel des créateurs de contenus se filment en train de réagir à des vidéos – ici, Lucien Jean-Baptiste lie les résultats de ces tests avec son propre vécu. En complément, les explications du psychosociologue Sylvain Delouvée viennent apporter un contrepoint scientifique bienvenu, jamais moralisateur.
Un timing incongru
Certains se sont en tout cas sentis visés par le titre provocateur de l’émission. C’est le cas d’Alexandre Devecchio, qui s’est fendu vendredi d’un billet dans le Figaro magazine sans même avoir vu le programme : «France Télévisions va-t-elle “brainwasher” les Français sur l’existence d’un racisme systémique dans notre pays ?» Quelques jours plus tôt, Sonia Mabrouk avait tenu à lancer le débat sur CNews, là aussi sur la seule base de l’intitulé : «Si vraiment on prend le titre au pied de la lettre, peut-être que le racisme antiblanc sera aussi reconnu ?» espérait-elle.
En regardant Sommes-nous tous racistes ?, ils pourraient bien être déçus, au vu de l’universalité des préjugés racistes démontrés ici. Et c’est ce que l’on pourrait reprocher à l’émission, qui débarque dans un timing qui semble incongru : à l’heure d’une libération effrénée de la parole voire des actes racistes, la simple analyse de nos biais comportementaux vis-à-vis de telle ou telle couleur de peau semble provenir d’une époque bien plus sereine.