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Liberté de la presse

Suspendue en Russie, «Novaïa Gazeta» écrit une nouvelle page en Lettonie

Le journal indépendant avait dû suspendre son activité fin mars en Russie à cause d’une nouvelle loi punissant toute diffusion d’information « mensongère ». Ses équipes refondent une édition européenne en dehors du pays.
Une des dernières éditions de la «Novaïa Gazeta», le 28 mars dernier. (Dmitry Feoktistov/Andia)
publié le 18 avril 2022 à 15h46

Ils avaient jugé que leur travail était devenu trop dangereux. Après avoir suspendu leur activité en Russie, les journalistes du média indépendant russe Novaïa Gazeta refondent leur rédaction hors du pays, quelques semaines après avoir suspendu leur activité en Russie. Une nouvelle loi sur les médias, prise dans le contexte de la guerre en Ukraine, punit en effet de 15 ans de prison toute diffusion d’information «mensongère», c’est-à-dire non alignées sur le discours du Kremlin sur la guerre. Le journal avait annoncé fin mars suspendre ses publications en ligne et au format papier.

Ainsi, une partie de l’équipe est restée vivre sur place tandis qu’une autre a fui pour créer un nouveau média, indépendant juridiquement : Novaïa Gazeta Europe a déjà commencé à publier des articles, des émissions sur l’actualité russe et internationale. Le site, basé à Riga en Lettonie, rassemble déjà 100 000 lecteurs, via la messagerie Telegram, et une présence sur les réseaux sociaux et sur YouTube. Le site internet est en préparation et affiche en page d’accueil un compte à rebours : mise en ligne prévue mercredi 20 avril.

Un phare pour les nombreux médias russes

A la tête du nouveau média, le journaliste russe Kirill Martinov estime que «la situation est simple [...]. On a besoin de recommencer à travailler le plus vite possible pour donner une information juste, explique-t-il auprès de France Info. Parce que, dans les circonstances graves actuelles, les Russes ont besoin de cette information. On doit leur donner.» Ce qui oblige toutefois à quelques acrobaties. «Evidemment, il n’est pas possible de travailler comme journaliste indépendant en Russie, ajoute Kirill Martinov. Notre journalisme se situe donc entre, d’un côté, une “opération sous couverture”, comme des espions ; et de l’autre côté, pour réussir à transmettre cette information aux Russes, on ressemble à une start-up numérique, capable de lutter contre la censure sur Internet.»

Connu du monde entier pour son engagement atypique, Novaïa Gazeta est dirigé par un homme au fort caractère, Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix en son propre nom en octobre. Mais c’est bien la Novaïa Gazeta qui, à travers lui, était primée. Ce média représente un exemple pour les centaines de journalistes stagiaires russes qui ne se voyaient pas travailler ailleurs à leur sortie d’école et qui sont passés par les bureaux du journal. C’est également un phare pour les nombreux autres médias russes, qui rêveraient de pouvoir jouir d’une telle indépendance. Enfin, c’est aussi un lieu de mémoire : huit employés du journal ont été assassinés depuis sa création avec l’aide financière de Mikhaïl Gorbatchev. Le nom le plus célèbre parmi ces victimes : celui d’Anna Politkovskaïa, tuée en 2006 à Moscou.