«Jamais trop tard pour changer, fais ta révolution et contre vents et marées, défend tes ambitions !» : par ce générique tout en synthés, composé par Bernard Tapie lui-même, débutait Ambitions, grand moment de télévangélisation au capitalisme à la française des années 80. Le concept : un jeune entrepreneur se présente devant une foule d’experts, avocats, banquiers et businessmen qui décident de valider ou non son projet. Pour la première, en février 1986, c’est ainsi une jeune fille de 18 ans qui confronte au publicitaire Jacques Séguéla son plan d’entreprise de lombri-compost. L’émission de TF1 fera 29% de part d’audience, un carton. Dans un autre épisode, un architecte marocain vante la construction en terre pour résoudre les problèmes d’habitat dans les pays en développement. On découvre aussi Jean-Louis Borloo en avocat-chroniqueur, pendant que le patron de l’époque et cofondateur de Libération, Serge July, parraine deux jeunes inventeurs d’un jeu éducatif électronique.
C’est surtout l’ampleur du barnum qui déconcerte. Ambitions est tourné à chaque fois dans une salle de spectacles différente, remplie à ras bord : Paris-Bercy, le Palais des sports de Toulouse ou de Grenoble… L’émission est entrecoupée de numéros musicaux : pendant que le candidat gravit le décor pyramidal dès qu’il convainc un panel d’experts, Marc Lavoine chante le Parking des anges ou les Stranglers Always the Sun. Au micro, Bernard Tapie fait ses premiers pas de présentateur avec l’assurance hâbleuse qui le caractérise. Pendant qu’aux Etats-Unis, Donald Trump sort son best-seller The Art of the Deal, en France, c’est Tapie qui est consacré entrepreneur-star de la télévision. Déjà figure publicitaire – «Qu’est-ce qui fait marcher Tapie ?» demande le spot des piles Wonder –, il est aussi l’invité régulier des plateaux du service public pendant toutes les années 80, que ce soit dans le Gym Tonic de Véronique et Davina ou chez Patrick Sabatier.
«La combine à Nanard»
C’est après une de ces invitations que naît l’idée d’Ambitions. En septembre 1985 sur Antenne 2, Michel Drucker présente les 7 Chocs de l’an 2000, grand show, là-aussi, d’anticipation du nouveau millénaire. Marguerite Duras prédit une humanité noyée sous l’information. Bernard Tapie fait une démonstration des risques de la «robotisation» industrielle sur l’emploi. Tapie a rassemblé sur le plateau 50 personnes censées représenter la «France qui travaille», agriculteurs, employés, ingénieurs. Au fur et à mesure, il fait sortir du groupe les travailleurs dont l’emploi est menacé par «les robots». La séquence est symbolique de la haute valeur ajoutée visuelle de la télé de ces années-là, en même temps que l’art de communicant de Tapie. Dans la foulée, Marie-France Brière, directrice des programmes de TF1 à l’époque, propose à l’homme d’affaires sa propre émission.
Ambitions s’arrête au bout d’un an, en février 1987. Au bout de cinq numéros et des audiences déclinantes, la Haute Autorité de l’audiovisuel débranche Ambitions, estimant que l’émission entretient une confusion des genres : pour sa présidente Michèle Cotta, celle-ci sert surtout les ambitions de Bernard Tapie. Il faut dire que, dans le même temps, l’homme d’affaires a d’autres préoccupations avec TF1. Bernard Tapie fait partie de l’équipe de Francis Bouygues, candidat au rachat de la première chaîne tout juste mise sur le marché par le gouvernement Chirac. Coach en communication du consortium formé par le patron du BTP, Tapie aide Bouygues à rafler l’appel d’offres pour 3 milliards de francs face au groupe Hachette. Le ministre de la Communication, François Léotard, est convaincu par leur vision d’un «mieux-disant culturel» pour TF1, selon la volonté défendue par le gouvernement : des pièces de théâtre, de l’opéra… En réalité, Bouygues, surtout redoutable par son expérience des appels d’offres, remplira la grille de jeux télé où l’argent est roi, entre le Juste prix et la Roue de la fortune.
Après cela, Bernard Tapie entretiendra cette figure médiatique de businessman winner et grande gueule, jusqu’à ce que les affaires le rattrapent et le transforme en escroc préféré des Français. «C’est la combine à Nanard», chante sa marionnette des Guignols de l’info, qui lui assurera malgré lui une rémanence incomparable dans l’imaginaire national. Lui retrouvera le micro sur la radio RMC au début des années 2000 dans l’émission Allô Bernard ou dans le talk-show Rien à cacher sur la chaîne RTL9. Avant de terminer comédien sur TF1, notamment en flic dans la série Commissaire Valence. La télévision et Tapie, une histoire d’amour, d’ambitions et de succès populaire.
Reportage