«Ah la terrasse ! Les amis, le débat et puis l’amour…» accompagnés d’un Perrier citron. Dans la dernière pub pour la célèbre eau gazeuse, la bouteille verte circule entre les tables, posée sur un plateau tenu par un garçon de café. Pour cette campagne, le groupe Nestlé Waters (qui produit Perrier, Vittel, Contrex, Hépar) joue la corde sentimentale. Pourtant la relation de confiance avec les consommateurs est plus que jamais en péril depuis les révélations du Monde et de FranceInfo sur la contamination de ses sources d’eau minérale. Un constat accablant : la contamination est généralisée. Elle serait d’origine fécale, chimique, avec la présence de Pfas. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), recommande aux autorités de mettre en place un plan de surveillance renforcé des usines Nestlé et le rapport estime que les forages contaminés ne devraient plus être exploités pour produire des eaux embouteillées.
Nestlé Waters, filiale «eaux» du groupe Nestlé, qui pesait 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023 (en baisse de 6 % sur 2022) pour un résultat opérationnel de seulement 165 millions, se veut rassurant en affirmant que «la qualité de ses eaux minérales naturelles a toujours été garantie et reste [sa] priorité». Mais l’association de consommateur Food Watch et la tête de liste écologiste aux européennes Marie Toussaint réclament le retrait des bouteilles d’eau du groupe.
Comment réagissent les consommateurs ? Il est encore trop tôt pour observer les effets du scandale sur les habitudes d’achat. Pas de vent de panique pour l’instant dans la grande distribution. «Nous ne voyons pas d’impact sur notre activité à date», assure Nestlé Waters. Ce que confirment Carrefour et Système U. «Dans les magasins que nous avons interrogés, nous ne voyons pas d’impact à ce stade», explique Carrefour. Même constat chez Système U, qui souligne qu’un retrait des rayons n’est pas à l’étude, car «ce sont les autorités qui prennent les décisions». Contactés, Les Mousquetaires (Intermarché) et Leclerc ont décliné nos sollicitations. Et pour l’instant, les clients ne semblent pas inonder Nestlé de réclamations ou de questions. Ou du moins pas trop. «Le nombre de contacts à notre service consommateurs (par mail ou téléphone) est modéré, principalement concentrés jeudi 4 avril (jour de sortie des enquêtes du Monde et de FranceInfo, nldr)», indique Nestlé Waters.
Les consommateurs français au rendez-vous
Heureusement pour le groupe, car les Français figurent parmi les plus grands consommateurs d’eau en bouteille du monde et Nestlé Waters pèse environ un tiers du marché, même si cette branche ne représente que 3,6 % des ventes de Nestlé. Un Français sur deux en consomme quotidiennement et quatre verres d’eau consommés sur dix sont issus de l’eau minérale. Chaque Français boit ainsi en moyenne 135 litres d’eau en bouteille par an, quasiment un litre tous les deux jours. En tout, ce sont près de 8,7 milliards de bouteilles d’eau par an qui sont consommées par les Français, un marché occupé à 80 % par le trio de tête du secteur, Nestlé, Danone (Evian, Volvic, Badoit, etc.) et le groupe Alma (Cristalline, St-Yorre, Vichy Célestins, etc.).
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Nestlé Waters affirme que «nos eaux minérales naturelles Hépar, Contrex, Vittel et Perrier peuvent être consommés en toute sécurité et leur composition minérale est conforme à leurs étiquetages» a répété à l’AFP Muriel Lienau, PDG de Nestlé France. Deux communiqués du groupe intitulés «Points de situation», aux accents de crise sanitaire, n’en disent pas plus. «C’est une opération kamikaze», critique Florian Silnicki, spécialiste de la communication de crise de LaFrenchCom. Selon lui, l’industriel est très loin des standards de communication de crise internationaux, notamment en termes de transparence. «Ce sont des déclarations génériques, sans empathie. Il devrait y avoir une FAQ accessible au grand public, des relevés en open data», commente-t-il.
Pour sa défense, Nestlé assure avoir mis en place «un plan de transformation» des sites des Vosges et de Vergèze depuis trois ans et renforcé ses contrôles, «en accord strict et sous le contrôle des autorités compétentes».
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C’est en tout cas une menace pour le secteur des eaux en bouteille qui, d’après les données de GFK-NielsenIQ, représentait 2,6 milliards d’euros sur 12 mois à la fin février 2024, dont 1,7 milliard pour les «eaux plates natures», des montants plutôt stables par rapport aux dernières années. «La crise Nestlé Waters est l’une des crises majeures de ces quinze dernières années. Il y a eu un océan de promesse sur la qualité de ces eaux, souvent proches des allégations de santé et dans la réalité, c’est le désert», relève Florian Silnicki.
«Crise de réputation»
«Tous les voyants sont au rouge», abonde Fabienne Berger-Remy, maître de conférences à Paris Dauphine-PSL spécialiste en marketing. «Il s’agit là d’une crise de réputation de marque potentiellement sévère, propre à miner la confiance des consommateurs.» La sensibilité des thématiques liées à l’alimentation, l’attribution de la responsabilité à l’entreprise, et les antécédents de l’entreprise (premières alertes déjà lancées sur l’eau, l’affaire Buitoni) : «tous les éléments sont réunis», estime-t-elle, pour que le scandale éclate, même si la familiarité avec la marque tend à atténuer les effets de la crise. A terme, l’affaire pourrait bien éclabousser tout le secteur «dans un contexte déjà peu favorable aux eaux en bouteille (pour des raisons environnementales) [où] le seul argument qui reste aux eaux minérales réside dans les bienfaits de la minéralisation de l’eau», anticipe Fabienne Berger-Remy. Et de conclure : «Cette révélation touche la promesse centrale des marques d’eau minérale», notamment par rapport à l’eau au robinet, avec laquelle la différence semble de moins en moins évidente. Mis à part le prix.