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Transparence

Nouvelles révélations des «Suisse Secrets»: l’opacité de la finance helvétique mise à l’épreuve

Après de nouvelles révélations sur des fonds douteux hébergés par l’une des plus grandes banques du pays, le Crédit suisse, la place financière est une encore une fois au cœur d’un scandale.
L'enseigne du Crédit suisse, mise en cause dans un les Suisse Secrets, à Zurich. (Steffen Schmidt/AP)
publié le 21 février 2022 à 21h19

La réputation de la place financière helvète en prend encore un coup. Publiée sous le nom de «Suisse Secrets», une nouvelle enquête journalistique internationale met en évidence des pratiques douteuses du Crédit suisse, la deuxième plus grande banque du pays. Ces données ravivent les débats autour de la transparence de la place financière suisse, qui tente pourtant de soigner son image.

L’Organized Crime and Corruption Reporting Project, un consortium regroupant 47 médias internationaux, dont le Monde, The Guardian ou le New York Times, affirment que l’établissement bancaire a hébergé des fonds provenant de la criminalité, de la corruption ou du détournement d’argent public pendant plusieurs décennies. L’enquête collaborative est basée sur la fuite d’informations issues de plus de 18 000 comptes bancaires administrés par le Crédit suisse depuis les années 40 jusqu’à la fin des années 2010.

De son côté, l’établissement bancaire a fermement rejeté ces accusations, considérant qu’elles s’appuyaient sur des données «partielles», «inexactes» ou «prises hors de tout contexte». Le Crédit suisse n’a également pas manqué de souligner que certaines de ces informations dataient d’une soixantaine d’années et que 90% des comptes concernés étaient aujourd’hui clôturés. Des allégations qui apparaissent comme «un effort concerté pour discréditer non seulement la banque mais la place financière suisse dans son ensemble», a encore réagi l’établissement.

Secouée par les scandales

Depuis mars 2021, Le Crédit Suisse a été secouée tour à tour par des scandales à répétition : la faillite de la société financière Greensill, l’implosion du fonds américain Archegos, les amendes pour les prêts au Mozambique et la démission abrupte de son président, huit mois et demi après son arrivée aux commandes, pour avoir enfreint les règles de quarantaine.

De quoi conduire l’organisation actionnariale Actares, qui milite pour une économie durable, à cibler demander cet établissement bancaire. «Le Crédit suisse doit enfin créer de la transparence dans une somme apparemment ingérable d’écarts qui affecte non seulement les investisseurs, mais aussi la réputation des banques suisses», a-t-elle fustigé.

Sans nier le rôle qu’a joué le secret bancaire dans le succès de la Suisse par le passé, le quotidien zurichois Neue Zürcher Zeitung a, lui, remarqué dans ses colonnes qu’une «partie des affaires révélées par Suisse Secrets ne seraient plus possibles» au regard de la législation actuelle. En effet, le pays a fortement revu sa législation depuis son bras de fer avec les États-Unis sur l’évasion fiscale, mais aussi avec les rebondissements concernant des données volées remises au fisc allemand.

En guise de bonne foi, la Suisse a entériné en 2014 un accord de coopération avec les Etats-Unis obligeant les établissements financiers à transmettre certaines données au fisc américain. En 2015, le pays signait un accord avec Bruxelles concernant l’échange automatique d’informations. «Le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent n’a cessé d’être développé et renforcé au cours des dernières années», insiste ainsi l’Association suisse des banquiers. «L’argent douteux n’intéresse pas la place financière suisse, pour qui la réputation et l’intégrité sont des facteurs clés», a-t-elle encore ajouté.

Un effet «Panama Papers»

Selon un rapport publié fin octobre par le ministère des Finances suisse, les signalements au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent ont été quatre fois plus nombreux en moyenne annuelle entre 2015 et 2019 que sur les dix années précédentes.

Les auteurs de ce rapport expliquaient «cette pluie de signalements» par le fait que les banques, plus sensibles aux risques pouvant les éclabousser, contrôlaient davantage leurs clients depuis les grandes affaires de corruption comme l’opération «Lava Jato» au Brésil. Mais aussi depuis les révélations de presse comme les Panama Papers ou Paradise Papers.

Dans le même temps, les dispositions législatives suisses à l’égard de la presse ont aussi été durcies au fil des années, empêchant les investigations sur les établissements bancaires. Les grands titres de presse du pays regrettent d’ailleurs aujourd’hui de ne pas avoir pu participer aux révélations du scandale Suisse Secrets.