Suite (mais pas fin) de l’épopée pour un des plus grands sites de recyclage de papier en France, la Chapelle Darblay, à Grand-Couronne près de Rouen. Depuis le licenciement de 228 personnes en 2020 par le propriétaire finlandais UPM, les cinq derniers salariés s’activent pour trouver un repreneur digne de leur usine. C’est-à-dire dont le projet conserverait le savoir-faire et les précieuses machines, à l’arrêt depuis plus d’un an.
Ce vendredi, UPM fait un choix : il a voté en conseil de surveillance la vente au groupement français Samfi /Paprec. Ce projet unit Paprec, un des leaders du traitement des déchets et du recyclage en France, et Samfi Invest, une société familiale normande qui souhaite notamment développer l’hydrogène. Il «prévoit dans un premier temps le regroupement des activités Paprec sur le site avec une cinquantaine d’emplois», détaille auprès de l’AFP Julien Senecal, secrétaire CGT du comité social et économique (CSE) de Chapelle Darblay, tandis que «Samfi prévoit 70 emplois à l’horizon 2030 pour un projet hypothétique lié à l’hydrogène». Pour les salariés, ce projet s’éloigne trop de leur cœur de métier et impliquerait le démantèlement de l’outil industriel.
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Eux avaient un autre chouchou. Ils croyaient en la candidature, certes tardive, de Veolia. Le numéro un mondial de l’eau et des déchets avait justement promis, dans un communiqué rendu public jeudi, la création de 250 emplois qualifiés dès janvier qui seraient «pour l’essentiel» issus des «compétences qui étaient présentes avant l’arrêt de l’usine». Le site «produirait 400 000 tonnes de carton d’emballage pour un marché international en forte croissance, à partir de papier et carton recyclés, collectés en France. L’énergie nécessaire à l’installation sera produite par une chaudière de cogénération biomasse», assurait Veolia. Selon les salariés, Samfi a déposé une offre à hauteur de 7,5 millions d’euros tandis que Veolia proposait huit millions pour acheter le site.
La Métropole s’en mêle
L’enjeu de cette reprise est majeur car «l’usine dispose d’une puissance de recyclage de 480 000 tonnes par an, soit le résultat du tri de 24 millions d’habitants – un tiers de la France», avaient rappelé, en mars, 67 élus, dont le maire du Havre Édouard Philippe et la maire de Paris Anne Hidalgo, dans un appel à relancer ce «fleuron de l’économie circulaire».
Après avoir un temps penché pour la reprise par Samfi /Paprec, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire et la ministre déléguée à l’Industrie Agnès Pannier-Runacher «regrettent» finalement le choix d’UPM ce vendredi. Les deux ministres déplorent que le vendeur finlandais «n’ait pas retardé sa prise de décision» alors que les deux offres déposées «n’ont pas pu bénéficier d’un examen suffisamment détaillé». Ils estiment que l’offre concurrente de Veolia «mérite d’être examinée dans le détail».
Les salariés, eux, ne désespèrent pas. Car il y a un nouveau rebondissement : la métropole de Rouen Normandie compte entrer dans l’arène. Elle a annoncé ce vendredi vouloir «user de son droit de préemption» pour racheter la papeterie Chapelle Darblay. Cette disposition prévoit qu’une commune ou une intercommunalité peut s’interposer lors de la vente d’un bien d’intérêt général situé sur sa zone et demander à le racheter. Dès qu’UPM aura officiellement déclaré la cession du site, la métropole de Rouen aura deux mois pour se manifester.
«Alors que la France vient d’être condamnée pour ses manquements en matière de lutte contre le réchauffement climatique, veut-on, oui ou non, développer enfin l’économie circulaire et restaurer notre souveraineté industrielle nationale ?», questionne dans un communiqué Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen et président de la Métropole Rouen Normandie. Il dit vouloir éviter un «gâchis dramatique». Contacté par Libération, il affirme : «Il ne s’agit pas d’un effet d’annonce, on a la possibilité financière de racheter». Si la démarche aboutit, le prix ne sera pas négocié avec UPM mais fixé par les services de l’Etat. La Métropole compte ensuite revendre à un repreneur qui sauvegarde la filière du recyclage papier en France. Pourquoi pas Véolia. L’industriel finlandais pourra toujours contester le droit de préemption devant la justice. Ce qui rallongerait encore l’épopée.