On l’attendait depuis 2020, la crise sanitaire et son contrecoup économique. Tous les trois ans, une vingtaine d’enquêteurs de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) arpentent les 6 500 rues parisiennes pour un recensement en «dentelle» des commerces de la capitale : ces derniers ont comptabilisé 60 846 commerces dans Paris intra-muros, soit 842 de moins que lors du dernier recensement, traduisant une bonne résistance de l’activité marchande aux chocs des confinements. L’adjoint de la mairie de Paris chargé du commerce, Nicolas Bonnet Oulaldj, sourit de soulagement derrière son pupitre installé en ce mercredi matin dans l’une des salles de l’hôtel de ville : «La catastrophe a été évitée.» «La crise sanitaire est derrière nous, même si elle a laissé quelques traces», complète Soumia Malinbaum, présidente de la Chambre de commerce et de l’industrie (CCI).
Cette enquête confirme que l’hypercentre et sa vingtaine de quartiers répartis entre les quatre premiers arrondissements, en plus des VIe et VIIIe, sont l’eldorado des «commerces de déplacements» chers aux touristes et aux non-résidents de la capitale venus faire du shopping. Alexandre Labasse, directeur général de l’Apur, désigne ainsi ces 8 757 boutiques, la concentration la plus dense de Paris, pour lesquelles les consommateurs bravent froid, métro et foules. En haut du podium, les galeries d’art (32 %) et les enseignes de créateurs comme de fast fashion (20 %).
«Plus vite, plus pressé»
Problème, les loyers s’envolent et les vrais habitants, clients du quotidien, se font rares. CQFD. La présidente de la CCI abonde, les tarifs actuels «sont beaucoup trop chers» pour les professionnels comme pour les habitants. La Mairie assure qu’elle compte approcher «bientôt» le gouvernement pour parler «encadrement de loyers». Ce Paris muséifié de l’hypercentre a la densité de population la plus faible, avec 178 habitants par hectare, contre 250 pour les arrondissements limitrophes. Il est clair que commerçants comme Parisiens sont boutés hors de leurs murs classés, direction les quartiers plus abordables si ce terme encore un sens avec un mètre carré moyen qui reste proche de 10 000 euros à Paris malgré le coup de froid provoqué par la hausse des taux sur le marché immobilier.
Grand gagnant, le Nord-Est de la capitale qui se gentrifie au détriment des classes populaires mais au bénéfice du commerce. Les XIe, XIVe et XIXe arrondissements se disputent ainsi le bout de gras du commerce de proximité. Au sommet, l’alimentation. Nicolas Bonnet-Oulaldj l’annonce comme un slogan, «93 % des Parisiens sont à moins de cinq minutes à pied d’une boulangerie.» Egalement dignes partisans du «plus vite, plus pressé», ils plébiscitent les supérettes et enseignes de centre-ville des géants de la grande distribution. Carrefour, pionnier de l’hypermarché, est le plus implanté avec 309 magasins sur les près de 550 répartis dans l’agglomération. Ses concurrents directs Auchan et Leclerc peinent à s’enraciner. Leur solution pour percer le marché : la nouvelle tendance du drive piéton, des courses faites en quelques clics disponibles en une heure ou deux.
Mobilités douces et ongleries
Reflets des tendances de consommation et modes de vie, certains commerces ont explosé dans la capitale. Les revendeurs de CBD ou cannabidiol dont sont tirés fleurs ou huiles sans THC, ont explosé avec plus de 405 % d’implantation parisienne : 89 boutiques ont vu le jour entre 2020 et 2023. Autre tendance, les mobilités douces, vélo en tête. Les enseignes de vente, location et les ateliers de réparation augmentent de 39 %. Suivent les boutiques de seconde main, majoritairement d’habillement (28 %). Et la petite surprise, les ongleries (20 %). La Mairie garde d’ailleurs un œil sur ces derniers, certaines rues frôlant parfois «le monopole».
Cette étude, réalisée entre mars et avril 2023, ne s’intéresse aux commerces parisiens qu’avec une perspective économique. Impossible d’en savoir plus sur les tendances de consommation ou sur le profil social des habitants répartis entre le centre et le nord-est de la Seine. Cette séparation entre un Paris-musée et un Paris-habité sera prochainement mise à l’épreuve des Jeux olympiques et Paralympiques de Paris 2024 qui attireront des millions de spectateurs dans la capitale et ses environs : loger et divertir ces touristes sera un défi, les nourrir aussi.