Alors que la grève pour les salaires dans plusieurs raffineries et dépôts de pétrole met à l’arrêt l’approvisionnement des stations-service – près d’un tiers de celles-ci manquait au moins d’un carburant dimanche –, le gouvernement a annoncé puiser dans les stocks stratégiques pour limiter la pression sur les consommateurs. «Ces livraisons arrivent progressivement», a assuré Elisabeth Borne, en marge de son déplacement en Algérie ce dimanche. «Les mesures que nous avons prises ont permis d’augmenter les livraisons de 20 % par rapport aux flux habituels», chiffre la Première ministre. Bouclier d’or noir, les stocks de pétrole français servent à assurer la continuité énergétique et économique du pays.
Que sont les réserves stratégiques de pétrole ?
C’est un stock détenu par l’Etat «pour répondre aux difficultés d’approvisionnement local ou national entraînant ou risquant d’entraîner une pénurie de produits pétroliers», précise le site du Sénat. Depuis 1925, une loi vise à «sanctuariser un stock» de pétrole en France, considéré depuis cette époque comme une ressource hautement stratégique pour le pays. La première tension énergétique majeure pour les Etats consommateurs de Brent, la crise du canal de Suez en 1956, avait provoqué une baisse importante du flux pétrolier et poussé la France à renforcer sa stratégie de stockage.
En adhérant à l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en 1992, la France s’engage à conserver des réserves d’hydrocarbures équivalentes à au moins 90 jours d’importations nettes de l’année précédente. Une directive européenne de 2009 s’aligne sur ces recommandations en imposant aux Etats membres de constituer un stock égal à «la plus grande des quantités représentées soit par 90 jours d’importations journalières moyennes nettes, soit par 61 jours de consommation intérieure journalière moyenne».
Les produits pétroliers concernés sont le gazole, le brut, le carburéacteur (kérosène), l’essence et le fuel domestique. Ces stocks ne concernent que les usages civils, dont ceux des services publics. L’approvisionnement en carburant de l’armée est géré séparément, sous l’égide du ministère de la Défense.
Qui gère ces réserves ?
Seuls les pouvoirs publics peuvent décider de puiser dans les réserves. Créée en 1988 et à but non lucratif, la Société anonyme de gestion des stocks de sécurité (Sagess) a pour mission de constituer et conserver des stocks stratégiques de produits pétroliers.
Les distributeurs, comme Total, BP ou Shell ont également l’obligation de constituer des stocks, à un volume équivalent à 29,5 % de ses ventes de l’année précédente. Ces réserves sont ensuite déléguées au Comité professionnel des stocks stratégiques pétroliers (CPSSP), créé en 1992, qui regroupe acteurs privés et publics et auquel se soumet la Sagess.
Où se trouvent les stocks de pétrole ?
En France, les réserves sont disséminées sur l’ensemble du territoire, sur 98 sites au total. On dénombre 89 dépôts commerciaux, huit raffineries et le site de Manosque dans le Sud-Est. «Le pétrole brut et les produits raffinés sont stockés pour plus d’un tiers à Manosque au fond d’énormes cavités salines», rapporte La Revue de l’Energie. Ce dernier emplacement a une capacité de plus de neuf millions de mètres cubes de stockage d’hydrocarbures et est relié à plusieurs infrastructures importantes : des raffineries et usines pétrochimiques, des réseaux européens de pipelines et se trouve à proximité du grand port maritime de Marseille.
Cette répartition permet de disposer de stocks au plus près des zones de consommation. Environ 18 millions de tonnes, soit 90 jours d’importation nette sont actuellement répartis sur le territoire et sont disponibles rapidement. On ignore la quantité débloquée par le gouvernement ces jours-ci.
La France a-t-elle déjà puisé dans ses réserves ?
Plusieurs fois, la France a eu recours à son stock stratégique de pétrole, principalement pour tenter de contrer l’envolée des prix des carburants à la pompe, liée au contexte international. Elle a aussi utilisé l’équivalent de trois jours de réserve de pétrole (sur 115 disponibles) en 2016, lors du mouvement social de la loi travail qui avait amené au blocage de certaines raffineries françaises.
L’Agence internationale de l’énergie peut aussi décider d’une action collective pour que ses membres mobilisent une partie de leurs réserves en cas de circonstances exceptionnelles. Au début de l’invasion russe en Ukraine, l’organisation a ainsi demandé à 31 pays de libérer 60 millions de barils de pétrole de leurs réserves d’urgence «afin d’envoyer un message unifié et fort aux marchés pétroliers mondiaux, à savoir qu’il n’y aurait pas de pénurie d’approvisionnement».