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Libération
Attachez vos ceintures

Permis de conduire : vers une visite médicale tous les quinze ans ?

Ce mercredi 28 février, le Parlement européen va statuer sur le projet de loi défendu par l’eurodéputée écologiste Karima Delli visant à imposer à l’horizon 2027 une visite médicale obligatoire tous les quinze ans dès l’obtention du permis de conduire. Cet examen permettrait de vérifier les aptitudes des conducteurs et ainsi d’éviter de nombreux accidents.
En 2022, les accidents de la route ont fait 20 000 morts dans l’Union européenne. Avec sa proposition de loi, Karima Delli espère «réduire de moitié le nombre de mort d’ici à 2030 et arriver à zéro mort à l’aube de 2050». (Magali Cohen/Hans Lucas. AFP)
publié le 27 février 2024 à 13h08

«Si le conducteur avait passé un test d’aptitude, j’aurais encore ma jambe gauche.» Le 27 octobre 2018, Pauline Déroulède s’est fait faucher par une voiture alors qu’elle marchait sur un trottoir parisien. Au volant de l’automobile, «un conducteur de 90 ans dont le rapport d’enquête policière montra qu’il avait confondu le frein et l’accélérateur», témoigne l’athlète de tennis paralympique. Dans la salle de presse du bâtiment d’Europa Experience ce 26 février, Pauline n’est pas la seule victime de l’inaptitude à conduire de certains automobilistes. Cléo, 12 ans, a été renversée à 3 ans par un conducteur à Croix (Nord). Depuis, elle arbore une prothèse à la place de sa jambe gauche. Floraine Jullian a perdu sa mère, percutée sur le passage piéton devant son domicile. «C’est pour cela que nous portons une proposition de directive européenne qui peut faire la différence sur la route, clame l’eurodéputée (les Verts) Karima Delli. La visite obligatoire tous les quinze ans, dès l’obtention du permis.»

Du 26 au 28 février, la présidente écolo de la commission des transports de l’UE plaidera dans les couloirs du Parlement européen pour son texte. En 2022, les accidents de la route ont fait 20 000 morts dans l’Union européenne, répète-t-elle. Avec sa proposition de loi, Karima Delli espère «réduire de moitié le nombre de mort d’ici à 2030 et arriver à zéro mort à l’aube de 2050». Adoptée à une voix près en commission des transports en décembre 2023, grâce à l’absentéisme mal assumé des députés RN, la proposition de directive européenne doit être soumise au vote ce mercredi 28 février à midi en Assemblée plénière. Si le texte est adopté par le Parlement, puis par le Conseil européen, les Etats membres auraient deux ans pour inscrire dans leur loi l’obligation d’une visite médicale tous les quinze ans.

Vérifier l’aptitude du conducteur

Concrètement, cette visite devrait permettre de vérifier l’aptitude d’un conducteur à prendre le volant avec des examens de «la vue, l’ouïe et les réflexes», détaille Karima Delli. Une fois l’examen passé, l’automobiliste apte se verrait remettre un certificat médical pour rouler «à l’instar des chauffeurs de bus et d’autocars et d’autres professionnels routiers», rappelle l’élue écologiste. «Il s’agit de passer cette visite médicale dès l’obtention du permis, à 18 ans puis 33 ans, 48 et ainsi de suite.»

L’eurodéputée propose d’inscrire ce contrôle dans un «cadre déjà existant, par exemple cela pourrait être celui des rendez-vous prévention santé». Pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale, les examens de prévention santé sont des consultations médicales auxquelles chaque assuré à accès pour faire un bilan général. A la question du coût de ces visites pour le budget de la Sécu, Karima Delli coupe court. «Quel est le coût pour la Sécurité sociale des accompagnements médicaux à vie des accidentés ? La prévention n’est pas une question de coût, martèle l’élue. La prévention, c’est de l’investissement et du gain pour la société et la santé publique.»

«En France, la voiture est sacrée»

Si l’équipe de Karima Delli brandit avec fierté le sondage Ifop, publié par le Parisien, selon lequel 59 % des Français sont favorables à la mise en place d’une telle mesure, la tenniswoman paralympique Pauline Déroulède reconnaît qu’«en France, la voiture est sacrée». Dans le pays du président qui défend la «bagnole», les critiques ont rapidement été exprimées. L’organisation de défense des conducteurs 40 millions d’automobilistes a lancé une pétition pour que le principe du «permis de conduire à vie» ne soit pas remis en cause. Selon son directeur général, Pierre Chasseray, «le permis de conduire est un diplôme» dont la remise en question stigmatiserait à la fois les seniors et les personnes vivant en zone rurale.

L’objectif «n’est pas de stigmatiser une population, mais de sauver des vies, plaide l’athlète. Une personne de 80 ans peut tout à fait être apte, mais pas forcément une personne de 50 ans». A la différence d’une mesure ciblée pour les plus de 75 ans, qui avait notamment été proposée par le député Modem Bruno Millienne en juillet, un contrôle généralisé serait plus égalitaire, se défend l’eurodéputé. Quant aux disparités territoriales, l’élue écologiste rappelle l’importance de proposer des alternatives à la voiture en zone rurale : du transport à la demande, des lignes ferroviaires ou des bus supplémentaires.

La France à la traîne

Si en France, la question soulève de vifs débats, en Europe, l’Hexagone fait figure de mauvais élève. Avec l’Allemagne et la Pologne, elle fait partie des seuls pays où le permis à vie est la norme. Partout en Europe, des suivis médicaux sont déjà en place comme aux Pays-Bas, au Danemark, en Belgique ou encore en Grèce. C’est dans la péninsule ibérique que la loi est la plus ferme : en Espagne, l’examen médical est pratiqué tous les dix ans avant 65 ans. A 70 ans, un nouveau contrôle est obligatoire et doit être renouvelé tous les deux ans. Il en va de même au Portugal où l’examen médical est obligatoire dès 40 ans.

«Dans quelques années, la visite médicale nous paraîtra automatique, rassure l’eurodéputée avant de partir défendre son texte à Strasbourg. Exactement comme pour la ceinture de sécurité.»