Haro sur le vilain méchant site. Présent en France depuis 2015, Shein est devenu depuis ce week-end carrément infréquentable après que des poupées pédopornographiques ont été repérées sur ce bazar en ligne. «Si ces comportements sont répétés, nous serons en droit, et je le demanderai, qu’on interdise l’accès de la plateforme Shein au marché français», a prévenu lundi le ministre de l’Economie, Roland Lescure. Samedi, la direction générale de la Répression des fraudes (DGCCRF) a annoncé avoir fait un signalement à la justice. Sanctions possibles : sept ans maximum d’emprisonnement pour les personnes physiques et 100 000 euros d’amende. De quoi inquiéter sérieusement Shein, dont les dirigeants ne résident pas dans l’Hexagone et dont le chiffre d’affaires supporte aisément ce genre d’amende ?
Gagner en respectabilité
Le site de fast-fashion jure que cela ne se reproduira pas et a annoncé ce lundi avoir interdit la vente des produits de type «poupées sexuelles». Le ministère de l’Economie confirme en outre à Libération que des actions judiciaires sont en cours contre d’autres vendeurs en ligne, pour le même motif : Temu et Aliexpress. En 2021, une autre plateforme chinoise, Wish, avait, elle été déréférencée en raison de produits dangereux «après plusieurs mesures d’injonctions successives et à la suite d’une enquête de la DGCCRF», précise Bercy. Reste que l’Etat est pauvre en outils législatifs ou réglementaires pour faire face et les opérateurs concernés l’ont parfaitement intégré dans leur stratégie.
D’abord saturer le marché d’articles à tarifs très attractifs. «On ne peut pas afficher des prix aussi bas sans recourir à de l’activité forcée, en dépassant les horaires légaux de travail ou en ne tenant pas compte de la réglementation environnementale», décrypte Julie Faure, cofondatrice de la marque de vêtements éthiques Loom. Mais, la liberté du commerce est un principe de nature constitutionnelle et l’Etat ne peut s’opposer à la distribution de produits vendus, certes, à bas prix mais pas à perte.
Deuxième étage de la fusée : gagner en respectabilité. C’est le sens de l’accord passé avec le BHV, géré par le jeune patron de la Société des grands magasins (SGM), Frédéric Merlin, visant à y installer, dès mercredi, ses produits sur 1 200 mètres carrés. Lundi, sur Instagram, Frédéric Merlin a certes condamné la vente de poupées à caractère sexuel par son nouveau partenaire mais il défend toujours son alliance avec le géant. «Tous les articles proposés au BHV respectent des exigences strictes», assure-t-il.
Aucun outil législatif
Au cœur de la polémique depuis des semaines, le BHV, en difficulté, espère malgré tout se relancer grâce à cette union. Même objectif pour les cinq Galeries Lafayette exploitées en région par la SGM, ou encore Pimkie, signataire d’un accord de distribution avec Shein. Cette dernière enseigne est même passée par la case redressement judiciaire.
Premier franchisé des Galeries Lafayette avec 26 magasins, l’homme d’affaires Michel Ohayon ne cache pas sa réprobation. «Je ne veux pas m’en prendre au dirigeant du BHV personnellement mais l’arrivée de Shein est une atteinte à l’image des Galeries Lafayette. Rendez-vous compte de ce que ça représente pour ceux qui, depuis des années, exploitent un corner dans ces magasins et vendent des vêtements de qualité qui font vivre toute une filière.» Là encore, il n’existe aucun outil législatif ou réglementaire permettant d’interdire ou même de réguler la commercialisation de ces produits. Seul un défaut de fabrication ou une dangerosité, comme cela a été constaté par l’association UFC Que choisir sur des chargeurs de téléphone vendus par Shein et Temu peut être sanctionné.
Malus financier
Tout repose, pour l’avenir, sur un texte en cours d’examen par le Parlement. La loi sur la fast-fashion pourrait significativement perturber le modèle économique de ces sites de deux manières. D’abord en les privant de toute forme de publicité, comme c’est le cas pour le tabac ou l’alcool. Pour Shein et ses confrères, l’impossibilité de recourir à des mots-clés sponsorisés pourrait devenir un vrai casse-tête. Aujourd’hui, du fait de ce système, quand un consommateur tape sur un moteur de recherche «pantalon en coton beige», il a de fortes chances d’être dirigé en premier lieu vers un de ces sites. Ensuite, le mécanisme de malus financier permet de pénaliser, un par un, chaque article qui entre dans le giron de la loi. «Si un tee-shirt vendu 5 euros est frappé d’une pénalité équivalente, sa marge bénéficiaire va s’en trouver sérieusement affectée», détaille Julie Faure, de la marque éthique Loom. Pour l’heure, la date de l’examen de cette loi n’est pas connue. Si celle-ci était adoptée, elle aurait aussi un revers : «En voulant sanctionner ces plateformes, on risque également de porter préjudice à des enseignes françaises comme le distributeur de vêtements [à bas prix] Kiabi», comme le pointe un haut fonctionnaire de Bercy.
Une riposte peut éventuellement venir du budget 2026 dans lequel le gouvernement a intégré une taxe de 2 euros sur les petits colis, à la valeur inférieure à 150 euros et venus de l’extérieur de l’Union européenne. Le but est très clair : enrayer le tsunami de produits vendus par Shein ou son homologue, la plateforme Temu.
Shein en chiffres
7 000. C’est le nombre estimé de nouvelles références (vêtements, sacs, articles pour bébés, chaussures etc.) proposées chaque jour sur la plateforme Shein. Avec des milliers de fournisseurs en Asie, Shein fait fabriquer à la commande, en petites séries. 2 milliards de dollars. Ce sont ses bénéfices en 2023, pour 45 milliards de dollars de chiffre d’affaires, selon le Financial Times. C’est 2,5 fois plus que ce qu’avait empoché H & M (820 millions de dollars) la même année. Les résultats de Shein en 2024 ne sont pas connus mais son fondateur, Xu Yangtian, aurait décidé de l’introduire en Bourse à Hongkong, et non à Londres, notamment en raison d’une baisse des bénéfices. 23 millions. Créée en Chine pour vendre des robes de mariées autour de 2010, Shein a transféré son siège à Singapour en 2021 et ne vend aujourd’hui plus rien en Chine. Arrivée en France en 2015, elle s’est popularisée pendant le Covid et a conquis 23 millions de clients. 9 euros. C’est le panier moyen des acheteurs en France sur le site, selon la Fédération du commerce en ligne. 600 millions. C’est le nombre de petits colis que les plateformes chinoises, Shein et Temu en tête, déversent chaque année dans l’Hexagone, selon les auteurs de la proposition de loi dite «anti fast-fashion».