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Transports

Plombé par sa dette, Alstom va supprimer 1 500 postes de cols blancs dans le monde, 200 emplois menacés en France

Le fabricant du TGV et de nombreux trains et métros a annoncé ce mercredi 14 novembre un plan de désendettement surprise pour répondre à ses problèmes de trésorerie, malgré un carnet de commandes en progrès. Le rachat de Bombardier annoncé en 2020 n’a pas tenu toutes ses promesses.
Le siège social d'Alstom à Berlin. (Annette Riedl/dpa Picture-Alliance. AFP)
publié le 15 novembre 2023 à 15h57
(mis à jour le 15 novembre 2023 à 18h31)

Le « grand Alstom » a déraillé. Devenu numéro 2 mondial du ferroviaire il y a trois ans en avalant le canadien Bombardier, le fabricant du TGV et des TER de la SNCF et des rames de métro de la RATP tombe de haut. En proie à des difficultés financières qui ont surpris les spécialistes du ferroviaire et les marchés financiers, le groupe a annoncé, ce mercredi 14 novembre, un plan de restructuration pour se désendetter et retrouver la faveur de la Bourse. Plan qui passera par la suppression de 1 500 emplois dans le monde, des cessions d’actifs et une possible augmentation de capital «en fonction des conditions du marché». «Nous mettons en œuvre un plan d’actions global», notamment pour rassurer les agences de notation et tenir «nos objectifs à moyen terme», a prévenu le PDG du groupe, Henri Poupart-Lafarge, cité dans le communiqué de résultat. En réaction, le cours de l’action Alstom a chuté de plus de 11 % à l’ouverture de la Bourse de Paris. Et peu avant la clôture, le plongeon atteignait 16 % par rapport à l’ouverture, avec un titre massacré à moins de 12 euros.

Selon les informations de Libération, la France, où Alstom emploie près de 12 500 salariés (10 000 chez Alstom, 2 500 chez Bombardier, racheté début 2021) sur 80 000 dans le monde, pourrait être le pays le plus touché, avec l’Allemagne, par ce plan mondial de 1 500 suppressions de postes qui passera par l’ouverture d’un guichet de départs volontaires et touchera essentiellement les cadres des fonctions support, commerciaux et administratifs…. En interne, on s’attend ainsi à plus de 200 suppressions de postes dans l’Hexagone et le bilan sera sans doute comparable outre-Rhin.

«La France et l’Allemagne sont en première ligne car c’est dans ces deux pays que se trouvent le plus de fonctions support et de doublons depuis le mariage d’Alstom et Bombardier», explique un cadre à moitié surpris qui ne s’attend pas à des «licenciements secs». Les chiffres seront dévoilés, pays par pays, aux représentants du personnel le 14 décembre par la direction d’Alstom, à l’occasion d’un comité de groupe européen. Suivront ensuite des comités sociaux d’entreprise dans tous les sites concernés. En interne, on regrette toutefois que les salariés fassent une nouvelle fois les frais de la logique des marchés alors que le secteur du ferroviaire est en pleine relance verte et que 400 postes sont actuellement ouverts au recrutement chez Alstom.

Privilégier les commandes à forte marge

En cause, le montant de l’endettement alors que le groupe ferroviaire peine à tenir ses objectifs pour rétablir sa trésorerie. Le plan présenté par Alstom pour se remettre en ordre de marche vise ainsi à réduire sa dette nette de 2 milliards d’euros d’ici à mars 2025. Fin septembre, elle s’élevait à 3,4 milliards d’euros. Pour y parvenir, le groupe, qui fabrique trains et tramways, prévoit des cessions d’actifs de l’ordre de 500 millions à 1 milliard d’euros, mais aussi une possible augmentation de capital. Les 28 000 cadres d’Alstom verront également leur plan de rémunération variable modifié. En France, quelque 12 000 salariés travaillent dans seize sites.

Le deuxième groupe ferroviaire mondial (derrière le chinois CCRC mais devant l’allemand Siemens) entend aussi se positionner sur des appels d’offres plus rémunérateurs pour privilégier les prises de commande de qualité, où la marge potentielle est plus importante. En France, il va fournir les rames de la future ligne 15 du Grand Paris Express, mais aussi la nouvelle génération de celles du RER D et E ou du métro lillois.

Mais les ennuis pour Alstom remontent au 12 octobre, date à laquelle l’agence Moody’s avait abaissé la note de l’entreprise, rapprochant encore l’entreprise de la catégorie spéculative. Une semaine auparavant, le constructeur ferroviaire avait révélé une consommation excessive de trésorerie avec l’annonce d’un flux libre de trésorerie («free cash-flow») attendu largement négatif sur l’exercice annuel 2023-2024, de l’ordre de -500 à -750 millions d’euros.

«Il y a certes eu la guerre en Ukraine qui a fait bondir le prix des composants et ralentit la prise de commandes, mais on ne comprend pas bien comment on est passé d’un free cash positif au premier trimestre à un tel trou aujourd’hui», relève le même cadre d’Alstom. Ce dernier estime qu’Henri Poupart-Lafarge a peut-être «trop promis aux marchés» à partir des synergies espérées entre Alstom et Bombardier. Et relève que plusieurs cadres dirigeants, dont le directeur financier Laurent Martinez et l’ancien DRH, ont quitté l’entreprise avant ce coup de grisou.

Au premier semestre de son exercice décalé 2023-2024, le flux libre de trésorerie, indicateur central pour l’estimation de la valeur d’une entreprise, s’établit à -1,1 milliard d’euros. Ce problème de trésorerie «constitue un appel clair au changement», a insisté Henri Poupart-Lafarge. «Bien que la demande reste à un niveau soutenu, malgré une certaine volatilité, notre performance commerciale a été faible», a-t-il ajouté, notamment en raison du retard pris dans la finalisation du programme Aventra – 443 trains destinés au Royaume-Uni et hérités du portefeuille de Bombardier Transport – et un versement d’acomptes plus faible que prévu.

Changement de président

Le chiffre d’affaires du groupe s’est, lui, établi à 8,4 milliards d’euros, en légère hausse de 4,9 % par rapport à l’année dernière. Le résultat net part du groupe est tout juste repassé dans le vert, à 1 million d’euros – contre une perte nette de 21 millions d’euros un an plus tôt. En revanche, malgré la progression de son carnet de commandes, affirme les Echos, le montant généré a marqué le pas à 8,4 milliards d’euros, en baisse de 16 %. Autant dire que les promesses de la fusion avec le canadien Bombardier, qui devait faire d’Alstom le leader mondial du secteur, tiennent moyennement leurs promesses, alors même que le marché du ferroviaire est aujourd’hui en plein essor sur fond de transition énergétique décarbonée et de boom de la mobilité électrique. Le Français en attendait notamment beaucoup de son train à hydrogène, dont les commandes peinent encore à décoller.

La restructuration s’annonce profonde puisque le sommet du groupe va lui aussi être touché. Il a été décidé de dissocier les fonctions de directeur général de celle de président du conseil d’administration à partir de juillet 2024. Henri Poupart-Lafarge, PDG du groupe depuis février 2016, n’en sera donc plus que son directeur général. Pour le remplacer à la présidence, c’est donc l’ancien directeur général de Safran, Philippe Petitcolin, qui a été choisi. Une forme de mise sous tutelle pour donner des gages au marché. Au siège, on estime que Petitcolin est peut-être aussi «en train de charger un peu la barque et de passer les comptes à la paille de fer pour repartir avec un bilan nettoyé à même de rassurer les actionnaires» et de faire remonter le cours de l’action. Sur un an, le titre a dévissé de 53 %, loin des objectifs financiers du «grand Alstom» post-fusion. Le groupe a d’ores et déjà annoncé que le conseil d’administration proposera, lors de l’assemblée générale des actionnaires en juillet, qu’aucun dividende ne soit versé aux actionnaires au titre de l’exercice en cours. Un peu la moindre des choses quand 1 500 salariés vont devoir quitter leur emploi.

Mise à jour à 18 heures : avec les informations de Libération sur les suppressions de postes en France.