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Santé

Pourquoi Sanofi veut-il vendre le Doliprane ?

Le laboratoire français veut se décharger de toute sa branche «grand public» qui contient le médicament vedette des Français, plus assez rentable comparé aux traitements innovants commercialisés au prix fort.
A lui seul, le Doliprane réalise 8 % des 5,2 milliards de chiffre d’affaires de la branche grand public. (Romain Doucelin/Hans Lucas.AFP)
publié le 24 septembre 2024 à 11h02

Une affaire de nature à déclencher de sérieuses migraines pour les nouveaux ministres de l’Industrie, Marc Ferracci, et de la Santé, Geneviève Darrieussecq. Ce lundi 23 septembre était la date limite pour le dépôt, au siège du laboratoire pharmaceutique français Sanofi, des offres d’achat de sa division médicaments grand public regroupés dans une filiale, Opella. On y trouve également le Maalox (maux d’estomac) ou les pastilles Lysopaïne (affections de la gorge). Un ensemble qui pèse pas moins de 5,2 milliards de chiffre d’affaires (sur un total de 43 milliards) et dont son propriétaire entend se défaire.

Dans le catalogue des produits commercialisés par Opella figure le médicament vedette et sans doute le plus connu des Français : l’antidouleur à base de paracétamol Doliprane, décliné sous de multiples formes (Dolirhume) et dosages. A lui seul, ce médicament réalise 8 % des 5,2 milliards de chiffre d’affaires de la branche grand public. Il s’en vend chaque année 453 millions de boîtes produites par 600 salariés sur deux sites à Lisieux (Calvados) et Compiègne (Oise).

2,15 euros, la boîte, 75 centimes pour Sanofi

Pour autant, ce médicament n’a plus sa place dans la stratégie de la firme française. «Sanofi fait la même chose que son concurrent Novartis qui a vendu sa branche Sandoz, moins rentable, au nom d’un nouveau modèle économique hyperfinanciarisé», explique Nathalie Coutinet, enseignante en économie de la santé à l’université Sorbonne Paris Nord et qui observe à la loupe le recentrage des «Big Pharmas», ces plus gros producteurs mondiaux de produits de santé. Aujourd’hui, une boîte de Doliprane est vendue en moyenne 2,15 euros. Sur cette somme, 75 centimes reviennent au laboratoire, le reste est réparti entre le grossiste et le pharmacien. Sanofi préfère privilégier les médicaments innovants comme le Dupixent, prescrit pour l’asthme, et vendu 600 euros l’injection. A lui seul, ce produit devrait générer plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2025.

Bien que Sanofi demeure très discret sur le processus de vente de sa filiale Opella, l’opération devrait être achevée à la fin de l’année et deux offres auraient été formulées. La première du fonds d’investissement français PAI Partners, la seconde d’un de ses homologues américains, CD & R. L’un comme l’autre doivent être prêts à débourser 15 milliards d’euros pour emporter l’affaire, à moins que Sanofi décide finalement d’introduire en Bourse cet ensemble.

Les principes actifs toujours produits hors de France

Quelle que soit la solution retenue, cette vente fait grincer des dents du côté du gouvernement, soucieux de restaurer une certaine souveraineté sanitaire. La crise du Covid a fait apparaître que le principe actif du Doliprane, le paracétamol, est produit en Chine, en Inde, en Turquie ou aux Etats Unis. Le risque de rupture d’approvisionnement est donc patent, dès lors que la demande grimpe en flèche à l’occasion d’une crise sanitaire. Les sites français de Sanofi ne sont là que pour assembler les différents ingrédients qui composent le paracétamol et mettre les comprimés sous emballage. Pour répondre à la demande du gouvernement de localiser en France la production de paracétamol, l’un des principaux producteurs mondiaux de cette molécule, Sequens, a annoncé la création d’une usine à Roussillon (Isère). Elle ne sera cependant pas active avant 2026.

D’ici là, le nouvel acquéreur de Doliprane aura toute latitude pour délocaliser les deux sites français de Lisieux et Compiègne au titre de la réduction des coûts : «Les fonds d’investissement ne sont pas réputés pour leur politique sociale avant-gardiste», constate l’économiste de la santé Nathalie Coutinet. C’est sans doute pour limiter ce risque que la Banque publique d’investissement (BPI), bras armé de l’Etat en matière financière est pressentie pour participer, de manière minoritaire, au tour de table de reprise de la filiale mise en vente par Sanofi. La puissance publique pourrait également inscrire le Doliprane sur la liste des médicaments génériques (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui). Dans ce cas de figure le prix de vente de ce «clone» du Doliprane serait de 60 % inférieur au prix de l’original et ferait donc chuter instantanément les ventes du médicament historique.

L’attention du nouveau gouvernement devrait être d’autant plus grande sur ce sujet qu’un autre laboratoire français, Servier, qui s’est distingué judiciairement par la mise sur le marché du Mediator, à l’origine de nombreux décès, veut lui se séparer de sa branche de médicaments génériques : Biogaran. Il en attend 800 millions d’euros. Pour l’heure, l’opération est gelée après les menaces gouvernementales d’interdire la vente à un acheteur étranger. Or l’un des candidats au rachat serait une entreprise indienne. Ce gel n’est cependant pas un renoncement définitif de Servier. Un autre dossier de nature à susciter des aigreurs d’estomac pour les ministres de la Santé et de l’Industrie.