A 50 ans, Nathalie* espérait enfin devenir propriétaire. Avec 3 000 euros nets de revenus, cette fonctionnaire seule avec un enfant pouvait y aspirer. Dès l’été 2021, elle prospecte et entre en négociations avec un constructeur de maison individuelle. En parallèle, sa banque lui garantit que son projet sera finançable avec un prêt. «En avril, tout était ficelé», se souvient cette quinquagénaire de l’Oise. Mais elle doit encore signer le compromis de vente du terrain. L’affaire traîne et le permis de construire n’est finalement accepté qu’en juin. Sauf qu’entre-temps, les taux d’emprunt immobilier ont anticipé la remontée des taux de la BCE, repassant largement au-dessus de la barre symbolique de 1 %. Nathalie s’est finalement vue refuser son prêt le 13 juillet.
«Dysfonctionnement du marché»
«Ça s’est joué à quelques mois», soupire la mère de famille qui a vu s’écrouler son rêve maisonnette «avec petit jardin». Sa courtière en prêt immobilier lui a expliqué que son dossier était bloqué «à cause du taux d’usure». Ce dernier correspond au taux maximal auquel une banque est autorisée à prêter. La Banque de France le calcule chaque trimestre en déterminant la moyenne des taux pratiqués par les banques les trois mois précédents, puis la majore d’un tiers. Depuis le 1er juillet, il est ainsi fixé à 2,57 % pour les prêts immobiliers de vingt ans ou plus.
Mais ce garde-fou censé protéger les ménages de taux abusifs s’est retourné contre certains d’entre eux ces derniers mois. Lors de la négociation d’un prêt immobilier, un banquier veille à ce que le taux annuel effectif global (TAEG) de son emprunteur, c’est-à-dire à l’ensemble des coûts du crédit (taux nominal proposé par la banque mais aussi assurance, frais de garantie…) n’excède pas le taux d’usure. Dans le contexte de taux bas en vigueur depuis des années, ces situations étaient rarissimes. Mais alors que les banquent rehaussent leurs taux, la méthode de calcul de l’usure continue à tenir compte de ceux pratiqués il y a trois mois et stagne. La marge d’acceptabilité des dossiers se réduit donc.
Dans une étude parue début juillet, la société de courtage Pretto évalue à 60 000 le nombre de prêts qui étaient finançables en 2021, mais qui ne l’auraient plus été dans le contexte du marché de juin 2022. «C’est un dysfonctionnement du marché immobilier, des ménages en sont purement et simplement évincés», considère son co-fondateur Pierre Chapon. Le phénomène aurait même gagné en ampleur ces dernières semaines à en croire Xavier*, courtier indépendant du côté de Lyon. «Beaucoup de banquiers m’ont annoncé qu’ils ne prendraient plus mes prospects. Certains ont même complètement arrêté la distribution de prêts immobiliers», raconte-t-il.
«Douche froide»
Les courtiers devenus persona non grata au guichet des banques ? La Société générale n’accepte plus leurs dossiers «temporairement» mais «continuera de proposer des crédits à ses clients, en examinant leur situation au cas par cas». Du côté du Crédit agricole, on concède que «certaines banques refusent les courtiers car elles veulent plus de souplesse face au taux d’usure». Se passer des frais de courtage dans le calcul du TAEG est effectivement un bon moyen de ne pas dépasser l’usure.
S’il ne juge «pas scandaleux au vu du contexte inflationniste» que les banques augmentent leurs taux de crédit jusqu’à près de 2 %, le président du courtier Cafpi, Olivier Lendrevie, estime que c’est plutôt l’assurance emprunteur qui devrait être écartée du TAEG. «Son coût est totalement déconnecté des mouvements de taux. Il ne dépend que du profil individuel de risque. Cela ne fait que créer des injustices en excluant des personnes de la propriété parce qu’elles sont plus âgées ou ont des soucis de santé», s’indigne-t-il.
Pour Christelle qui vit en Essonne, «ça a été la douche froide». Cette assistante maternelle de 46 ans et son mari routier voulaient investir dans une maison à 300 000 euros. Avec leurs deux salaires cumulés mais aussi leurs 190 000 euros d’apport grâce à la vente de leur précédent appartement, l’affaire aurait dû être rondement menée. Pourtant, leur courtier leur explique que le dossier ne passera pas en raison de la conjoncture actuelle. «A contrario il nous a expliqué que des petits jeunes qui en présenteraient un identique auraient eu plus de facilité à obtenir un crédit», raconte-t-elle.
Pour Pierre Chapon de Pretto, il est donc urgent de revoir la méthode de calcul de l’usure. «Eviter à des gens de rester locataires alors que les loyers augmentent, c’est un enjeu de pouvoir d’achat». Même les banques se disent favorables à ce que le taux d’usure soit actualisé plus rapidement. Les associations de consommateurs sont consultées par le gouvernement sur ce sujet et pourraient l’influencer. Pourtant, l’UFC Que Choisir dit n’avoir reçu «qu’extrêmement peu de signalements». Le phénomène ne serait donc pas d’ampleur. A moins que ce ne soit sa complexité qui dissuade les emprunteurs lésés de faire des recours…
* Les prénoms ont été modifiés