Menu
Libération
Assemblée nationale

Projet de loi de finances : Elisabeth Borne active son treizième 49.3

La Première ministre a une énième fois engagé sa responsabilité ce mercredi 18 octobre pour couper court aux débats sur la première partie du projet de loi de finances pour 2024.
Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale, mardi 17 octobre. (Julien de rosa/AFP)
publié le 18 octobre 2023 à 17h00
(mis à jour le 18 octobre 2023 à 19h02)

Et de treize. Treizième fois depuis le début de ce second quinquennat - la deuxième depuis la rentrée et certainement pas la dernière -, qu’on a assiste à la même scène : Elisabeth Borne monte à la tribune de l’Assemblée nationale et oppose aux députés l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Ce mercredi 18 octobre, elle l’invoque pour couper court à l’examen par les députés en première lecture de la partie recettes du projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Une mesure censée être exceptionnelle devenue routine.

«Nous avons tendu la main et cherché des points d’accord», justifie la cheffe du gouvernement, avant d’être brièvement interrompue par les protestations de l’opposition puis les applaudissements de la majorité. Elle reprend : «Aujourd’hui, le constat est clair : aucun groupe d’opposition n’est prêt à voter ce PLF.» Des cris s’élèvent des bancs du Rassemblement national (RN). «Arrête ton blabla», lance le député RN Jean-Philippe Tanguy. «Je vous demande de respecter la Première ministre», lui intime la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet.

Borne reprend son propos et engage la responsabilité de son gouvernement. Pas un seul article de cette première partie du PLF n’a pu être discuté en séance, seule la discussion générale a eu lieu mardi soir dans l’hémicycle. «Nous n’avons pas le choix, a justifié plus tard le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, auprès des journalistes. Il n’y a pas d’accord possible avec des oppositions qui ont des demandes irréconciliables. Il n’y a pas de budget alternatif. Notre responsabilité est de doter le pays d’un budget.»

Sur les bancs, ça s’agite. Les députés de la majorité se lèvent pour applaudir. Certains, comme ceux de La France insoumise (LFI), quittent l’hémicycle. Même les ministres – Thomas Cazenave, Bruno Le Maire (Economie et Finances), Franck Riester (Relations avec le Parlement) et Elisabeth Borne –, en train de papoter et déjà debout alors que la séance n’a pas été levée, se font sévèrement taper sur les doigts par la présidente. Descendue du perchoir, Yaël Braun-Pivet s’agace contre les membres du gouvernement. «Le Maire n’a pas moufté», rapporte un élu présent.

Motions de censure LFI et RN

Après ce nouveau passage en force du gouvernement, les insoumis annoncent le dépôt d’une motion de censure. «Nous attendons les retours du PCF et du groupe écologiste» pour savoir s’ils se joignent à cette motion, annonce Eric Coquerel, président LFI de la commission des finances, dans un contexte de forte tension entre les groupes de gauche, notamment entre insoumis et socialistes qui viennent de «suspendre» leur participation à la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). Coquerel dénonce ensuite «une méthode de fermeture du débat, de passage en force» de la part de l’exécutif. «Nous ne nous associerons pas mais nous voterons une motion de censure portée par la gauche», fait savoir de son côté la députée PS du Puy-de-Dôme, Christine Pirès Beaune.

Le groupe RN a aussi prévu de déposer une motion de censure. «C’est un budget de ruines, injuste», a argué le numéro 2 du groupe, Jean-Philippe Tanguy. Les troupes de Marine Le Pen enjoignent surtout la droite à déposer sa propre motion, la seule à pouvoir recueillir suffisamment de voix pour censurer (donc faire tomber) le gouvernement et empêcher l’adoption de ce budget. Les députés Les Républicains (LR) s’y refusent toujours. «Déposer une motion de censure veut dire disposer d’une majorité alternative pour faire adopter notre budget», justifie Annie Genevard, députée du Doubs, se projetant dans l’hypothèse d’un gouvernement LR.

Du côté du gouvernement, en guise de geste démocratique, on fait valoir que «le projet retenu est différent du projet initial» : 358 amendements ajoutés, dont 41 des oppositions. Parmi eux, 17 de LR et 12 des socialistes. «C’est nettement supérieur à l’an dernier, avec 120 amendements retenus», précise Cazenave. Pas de quoi bouleverser l’équilibre budgétaire d’un gouvernement dont l’objectif est de ramener le déficit à 4,4 % du PIB. En l’état actuel du PLF, le déficit est réduit de 278 millions d’euros par rapport à la version initiale du texte.

Un choix prévu

A l’Assemblée nationale, ce nouveau bal budgétaire au rythme des 49.3 avait commencé le 27 septembre, peu avant minuit à l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP). La Première ministre avait utilisé cet article de la Constitution pour faire passer ce texte détaillant la trajectoire budgétaire du pays, resté en souffrance depuis des mois.

Ce deuxième 49.3 de la saison dégainé mercredi était donc attendu. Bercy et les députés de la majorité poussaient depuis des jours pour que les débats ne s’éternisent pas, peu désireux d’encaisser trop de «paumes». Ces amendements adoptés contre l’avis du gouvernement et du rapporteur ont parfois des conséquences financières qui se chiffrent en millions d’euros, en augmentant les recettes ou les dépenses, modifiant l’équilibre budgétaire du projet de budget. Ils peuvent aussi contenir des mesures allant à l’encontre des lignes rouges que la majorité s’est fixées (la formule «ni impôt ni dette supplémentaire» reste en vigueur cet automne). Même si le recours au 49.3 permet au gouvernement de décider du contenu du texte final, trop d’amendements adoptés contre son gré le placent ensuite dans une situation politique compliquée.

La tournure prise par les discussions en Commission des finances la semaine dernière l’a aussi incitée à écourter les discussions : la première partie du PLF a été rejetée après quarante heures d’examen, pendant lesquelles 2183 amendements ont été examinés. Parmi les 105 amendements adoptés, selon le décompte d’Eric Coquerel, 38 l’ont été malgré l’avis défavorable du rapporteur de cette même Commission, le député Renaissance Jean-René Cazeneuve. Et 15 d’entre eux auraient engendré des recettes supplémentaires pour l’Etat.

«Le 49.3 inévitable dans ce contexte»

S’attendant à «assister à un concours de démagogie» dans l’hémicycle, le député Renaissance Mathieu Lefèvre accusait lundi matin les oppositions de «vouloir tous les avantages de ce budget sans le sérieux budgétaire» tandis que Jean-René Cazeneuve jugeait «le 49.3 inévitable dans ce contexte, hélas». Après le nouveau déclenchement de l’article, il en a remis une couche, ce mercredi, expliquant que cette décision «est dans la logique de nos institutions» et osant, bravache : «Il n’y a pas d’autres majorités que la nôtre.» «On a eu 40 heures de débats en commission. Si on considère qu’elles ne servent à rien, il faut supprimer les commissions», a encore plaidé l’élu du Gers. S’attirant quelques piques salées, comme celle d’un député LR : «Il n’est pas le dernier à jouer le bulldozer sur le Parlement.»

Contrairement à l’an dernier, il n’y a eu aucun suspens sur l’issue des discussions ni aucune recherche acharnée de compromis par la majorité avec LR. Le gouvernement avait alors choisi de laisser les débats se tenir bien plus longtemps. La première séance publique consacrée à la première partie du PLF pour 2023 avait eu lieu le lundi 10 octobre 2022 avec la discussion générale. La dernière, le mercredi de la semaine suivante quand Elisabeth Borne avait engagé la responsabilité de son gouvernement. Elle avait alors invoqué l’impossibilité de tenir les délais. Cette année, au gouvernement, on ne s’embarrasse plus d’un tel argument.

Mise à jour : ajout à 19 h 02 de réactions politiques et du nombre d’amendements retenus par le gouvernement dans sa version finale.