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Réduction du plastique : dans les supermarchés, les clients et les vendeurs toujours pas emballés par le vrac

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Contraintes logistiques plus complexes, manque d’information sur les produits… Malgré les grands objectifs fixés par la loi, comme l’obligation dès 2030 pour la grande distribution de leur consacrer 20% de sa surface de vente, les produits vendus sans emballage peinent encore à convaincre.
Dans une épicerie itinérante à Iffendic (Ille-et-Vilaine), le 17 février 2022. (Quentin Vernault/Libération)
publié le 1er juin 2024 à 15h11

Après quatre-vingt ans de règne du pot de yaourt, de la bouteille en plastique et des pâtes préemballées, verra-t-on la fin des emballages jetables ? Les rayons de vrac, avec leurs bocaux à robinets remplis de graines et de légumes secs, souvent relégués dans un recoin des hypermarchés, ne représentent encore qu’une goutte d’eau par rapport aux milliers de produits proposés en grandes surfaces : seules 36 références en moyenne par super ou hyper, révèle le baromètre du «Réseau vrac et réemploi», réalisé par le cabinet Deloitte. C’est un peu mieux pour les magasins bio, qui proposent en moyenne 590 références, représentant 11% de leur chiffre d’affaires global, et dans les épiceries spécialisées dans le vrac, avec leurs 1 200 références.

Mais c’est encore à des années-lumière des objectifs réglementaires adoptés ces dernières années. Les lois Agec (2020), Egalim (2018 et 2021), et Climat et Résilience (2021) prévoient de réduire drastiquement les emballages jetables pour parvenir à l’élimination des emballages en plastique à usage unique en 2040. En 2030, la grande distribution devra aussi consacrer 20 % de sa surface de vente au vrac. Utopique ? Ces objectifs ont le mérite de «pousser les entreprises à se transformer, les marques sont engagées», assure Célia Rennesson, cofondatrice du réseau vrac et réemploi, qui représente les sociétés spécialistes de la consommation vrac. Tout en nuançant : «On ne va pas faire disparaître les emballages à usage unique, mais les réduire le plus possible.»

Les étapes sont prises au sérieux, assure le secteur, à savoir 10% minimum d’emballages réemployés d’ici 2027 pour l’ensemble des entreprises, baisse de 20% des emballages plastiques à usage unique d’ici fin 2025 (autant dire demain pour l’industrie) et de 50% des bouteilles en plastique à usage unique d’ici 2030. Prises au sérieux mais faute de sanction prévue, ces étapes risquent de ne pas être respectées, regrette Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’Institut national de l’économie circulaire (Inec). Tout dépendra donc de la bonne volonté des acteurs… et d’une conjoncture favorable. D’après le baromètre, la part de la population achetant du vrac est passée de 40% à 30% entre 2019 et 2023, en raison de la pandémie et de l’inflation. Car souvent ni le prix ni les contraintes sanitaires ne militent pour le vrac.

«On ne sait plus ce qu’on a acheté»

Pour les distributeurs, le vrac est un casse-tête. D’abord parce qu’il implique des contraintes logistiques nouvelles, comme de gérer un stock de graines, surveiller sa conservation et sa qualité, respecter ses normes d’hygiène spécifiques, etc. Ensuite, parce qu’une majeure partie des clients continuent de bouder les distributeurs de riz, pâtes, ou diverses noix, pourtant disponibles dans la plupart des magasins. Le client a le choix entre des produits préemballés et connus, et des distributeurs parfois difficiles à manipuler avec précision. Avec des ratés, autrement dit des noix ou autre qui jonchent le sol. «L’expérience classique du vrac ne facilite pas la vie du client», reconnaît Bertrand Swiderski, directeur RSE chez Carrefour. Et une fois arrivé à la maison avec les sachets de vracs en papier ou en tissu, on ne sait plus ce qu’on a acheté.»

Date de péremption, détails sur les ingrédients, indications d’utilisation, autant d’informations absentes des sachets en papier disponibles en magasin. «Le questionnement sur la préservation de la qualité des produits» et «le sentiment de manquer d’information» freinent la filière, confirme Auchan Retails qui propose du vrac en magasin depuis 2004. Biocoop explique avoir travaillé sur «l’harmonisation des étiquettes pour apporter un maximum d’informations aux consommateurs» et cherché «à inciter à la découverte en renouvelant l’offre». Par ailleurs, «pour trois-quarts des personnes interrogées, la présence des marques est considérée comme un gage de qualité qui inspire confiance, car elle rassure notamment sur l’origine du produit», indique le baromètre, citant une enquête qui remonte à 2021.

La question du prix pour attirer le client

Pour tenter de remédier à ces problèmes, Carrefour a lancé une expérimentation dans un magasin, avec des marques comme Panzani ou Kit Kat : des QR Code, contenant des informations de date et de composition, sont mis à la disposition du consommateur, qui peut coller cette pastille sur son sac en papier ou son bocal. Il disposera ainsi, chez lui, de ces infos qualités, comme sur les emballages classiques. Autre avantage, une offre 20% moins cher que les équivalents conditionnés, ce qui n’est pas toujours le cas. «Pour rendre le vrac plus attractif pour les consommateurs, il est nécessaire de proposer des prix compétitifs», insiste le Réseau vrac et réemploi. C’est le cas dans le circuit bio où «le vrac est de 4% à 22% moins cher que le préemballé», mais «le constat s’inverse dès lors que l’on compare des produits non bio». «Les habitudes de consommation n’évolueront pas de manière radicale sans un signal prix et une contrainte réglementaire plus forte du côté de l’offre», résume Emmanuelle Ledoux.