L’Europe n’en a pas fini de régler ses problèmes d’industrialisation. Le sujet a beau être au centre des préoccupations politiques dans plusieurs pays, comme en France avec la réindustrialisation érigée comme «mère de toutes les batailles» (Emmanuel Macron, dans Challenges en mai), les résultats ne sont guère probants, très éloignés des vœux de souveraineté maintes fois formulés. Les volumes d’investissements industriels dans le monde se sont stabilisés sur les douze derniers mois, entre juillet 2022 et juin 2023, autour de 1 205 milliards d’euros, mais cette moyenne masque de fortes disparités entre les continents. Tandis qu’ils progressent en Asie, première destination raflant plus de la moitié du total – le ralentissement chinois étant compensé par les performances sud-coréennes –, ces montants restent stables en Amérique – quoique supérieurs à leur moyenne annuelle de 2016 à 2022. En Afrique, en Océanie et en Europe donc, ils reculent, selon les résultats du dernier baromètre mondial des investissements industriels réalisé par Trendeo, Fives, l’Institut de la réindustrialisation et McKinsey.
L’UE «en dessous de sa moyenne annuelle et en décélération»
Dans le détail, les investissements dans l’industrie baissent sur ces douze mois de 25 % en Europe, de 38 % en Union européenne (UE), de 71 % en Allemagne, et de 21 % en France, avec 10,2 milliards d’euros – même si ses derniers restent au-dessus de leur niveau moyen. «Troisième destination mondiale avec 10 % du total, l’Europe est à la fois en dessous de sa moyenne annuelle et en décélération», constate David Cousquer, fondateur du cabinet Trendeo. L’UE, qui perd des parts de marché de l’investissement industriel mondial, enregistre des opérations plus restreintes, 40 % plus petites que la moyenne mondiale, avec 256 millions de d’euros par projet manufacturier contre 436 millions au niveau mondial. Elle n’est pourtant pas en déficit d’entreprises, celles-ci ont même une force de frappe équivalente à celle de leurs concurrentes américaines (plus de 1 800 milliards d’euros entre 2016 et 2023).
Mais au moment de décider, ces entreprises ne privilégient pas l’UE. Sur les sept dernières années, elles ont consacré à l’UE seulement 35 % du montant total dépensé et 46 % de leur nombre de projets. «Il y a eu une augmentation certaine de la part de l’investissement «domestique» post-Covid, mais qui ne se retrouve pas dans les dix-huit derniers mois», remarque Trendeo. Et quand elles financent des projets sur leur sol, les entreprises de l’UE y vont doucement : leurs opérations sont en moyenne plus importantes en dehors des frontières de l’UE. Sur les sept dernières années, les entreprises des secteurs de l’hydrogène (90 % des montants), de l’éolien (80 %, même si l’offshore s’est effondré ces derniers temps), de la chimie (78 %) et dans une moindre mesure la construction automobile (64 %) sont celles qui ont le plus fait le choix de dépenser à «l’étranger». Un motif d’espérance tout de même, l’Europe concentre près de la moitié des sites industriels, 77 sur 165, ayant affiché dans le monde l’ambition d’être neutres en carbone d’ici à 2030 ou 2040.
Aux Etats-Unis, des montants gigantesques d’argent public
Pendant ce temps-là, les entreprises américaines ont, elles, «augmenté de manière frappante la taille de leurs investissements européens, notamment pour les semi-conducteurs et les véhicules électriques», note David Cousquer. Les investissements aux Etats-Unis, en hausse de 4 % sur les douze mois, sont largement supérieurs à leur niveau moyen des années précédentes (52 % au-dessus). Et les montants gigantesques d’argent public prévus par l’Inflation Reduction Act pour soutenir l’industrie, autour de 370 milliards d’euros, ne sont pas tous dépensés. Frédéric Sanchez, président du groupe d’ingénierie Fives, dernier mohican français de la machine-outil, comme il définit l’entreprise, a lui doublé le volume de prises de commande en Amérique du Nord depuis quatre ans. Il participe ainsi à une modernisation de l’industrie américaine, avec le recours à l’automatisation pour à la fois pallier les difficultés de recrutement et accroître la compétitivité.