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Météowatts

RTE : on aura tous de l’électricité à Noël, après c’est moins sûr

Moins optimiste qu’il y a deux mois, le gestionnaire du réseau électrique évoque désormais un risque de coupures limité mais «plus élevé» que prévu en janvier-février. Tout dépendra des températures et du rythme de remise en service des réacteurs d’EDF.
En Moselle. (Thierry Grun/AFP)
publié le 18 novembre 2022 à 14h03
(mis à jour le 18 novembre 2022 à 16h16)

Risques de coupures d’électricité dans les chaumières cet hiver ou que nenni ? C’est le feuilleton politico-énergétique de l’automne et le suspense monte à l’approche des premiers vrais frimas, avec toujours près de la moitié des réacteurs nucléaires d’EDF à l’arrêt, suite notamment à la découverte de gros problèmes de corrosion ces derniers mois.

Tout à son rôle de Monsieur «Météowatts», le gestionnaire du réseau de lignes à haute tension RTE a donc mis à jour vendredi son analyse des perspectives électriques pour les quatre prochaines semaines, de mi-novembre à mi-décembre. Et tout en maintenant le même niveau de «vigilance» pour l’ensemble de l’hiver que lors de son dernier point de situation du 14 septembre, l’oracle s’est fait un peu plus inquiet à partir de janvier, en ce qui concerne le risque de «délestage» sur son réseau en cas de déclenchement d’un signal «Ecowatt Rouge». Une jolie litote techno pour ne pas prononcer le mot tabou «coupures» fortement susceptible d’alarmer les Français et de mettre le gouvernement sur le gril. «Le risque de recours au dispositif Ecowatt et en particulier au signal d’alerte rouge apparaît plus élevé sur le mois de janvier, mais dépendra largement des conditions climatiques et de la possible survenue d’une vague de froid même modérée», prévient désormais Réseau Transport Electricité (RTE).

C’est un vrai changement de discours, moins optimiste, même si RTE avait déjà tiré le signal d’alarme mi-octobre en raison du mouvement social qui a retardé les travaux dans les centrales d’EDF, dans le sillage de la grève pour les salaires dans les raffineries. Car jusqu’ici c’était plutôt «rien à signaler» sur le front du risque d’approvisionnement électrique. Avec un mois de novembre historiquement chaud (+3,5°C par rapport à la normale), la météo d’Ecowatt est restée bien calée au «Vert». Mais la probabilité de tensions entre l’offre et la demande, qui verraient la production électrique française déficitaire par rapport à ce que consomment les ménages et les industriels, va augmenter en décembre, et surtout en janvier. Tout dépendra de la descente du thermomètre et du rythme poussif auquel EDF remet en service ses réacteurs actuellement en rideau. «Pour début décembre, le risque sera moyen», indique RTE. Mais gare à la suite : «au cœur de l’hiver» – soit janvier et février – «les baisses de consommation anticipées, notamment du secteur industriel, ne sont pas de nature à compenser la baisse prévisible de la production nucléaire», prévient le gestionnaire du réseau.

Coupures «tournantes» en dernier recours

En clair, des coupures tournantes pouvant affecter les ménages seront inévitables s’il fait froid. Jean-Paul Roubin, le directeur exécutif de RTE en charge des opérations du système électrique, chiffre ainsi la probabilité d’alertes Ecowatt Rouge «entre zéro et deux si l’hiver est normal», et «entre zéro et cinq si les températures sont basses». Nous voilà à la merci de l’offensive du général Hiver. Et RTE prévient que «l’amélioration de la sécurité d’approvisionnement» levant tout risque de coupures visant les entreprises et les foyers n’interviendra qu’ «à partir de fin février».

Evidemment, on aimerait bien savoir quand il n’y aura plus de jus, qui sera touché, où, et pour combien de temps. Que l’on se rassure, le risque d’un «black-out» total, à savoir un effondrement national du réseau électrique français, est totalement exclu. En cas de besoin, s’il manquait «2 à 5 GW de production électrique» en pleine pointe de consommation (généralement vers midi et entre 18h et 20h), RTE prévoit plutôt des coupures d’une heure maximum qui n’affecteraient pas les services essentiels (hôpitaux et transports notamment) et tourneraient de département en département pour limiter au maximum leur impact. «38 % de la puissance n’est pas délestable, ce qui veut dire que 62 % le sont et c’est parmi ces 62 % que l’on retrouve les habitations», a reconnu Jean-Paul Roubin lors du point presse. Mais le responsable des opérations de RTE a précisé que ces coupures potentielles n’interviendraient qu’en tout dernier recours : «nous engagerons tous les moyens de production avant délestage, il est impensable de délester si l’on peut engager l’ensemble des moyens». Outre le nucléaire, l’hydraulique, le solaire et l’éolien, on pourrait ainsi faire un peu plus appel aux turbines à gaz et aux deux dernières centrales à charbon françaises.

Mais certains départements ou régions, les plus consommateurs en électricité, seraient-ils visés en priorité par des coupures ? Des rumeurs circulent depuis que les préfets ont reçu une circulaire en début de semaine pour préparer leurs régions respectives à un déclenchement d’«Ecowatt Rouge». Là encore, la direction de RTE se veut rassurante : «il n’y a pas de plan caché, si problème il y a, ce sera au niveau de l’équilibre offre demande national et si délestage il y a ce sera réparti au niveau national», a martelé Jean-Paul Roubin.

EDF sous pression pour redémarrer ses réacteurs

Le paradoxe, c’est qu’entre flambée des factures et appel à la sobriété énergétique du gouvernement, la consommation électrique des Français a baissé de 5 % à 7 % entre début octobre et mi-novembre. De quoi compenser jusqu’ici la production nucléaire défaillante d’EDF : 280 TWh seulement prévus cette année, contre 380 TWh en 2021. Et après ? Tout dépendra donc du calendrier de remise en marche des réacteurs. A cet égard, Thomas Veyrenc, directeur exécutif en charge de la prospective et de l’évaluation chez RTE, reconnaît que le «scénario le plus probable» prévoit que seuls 40 gigawatts (GW) de puissance nucléaire devraient être disponibles début janvier, soit environ 65 % de la capacité nucléaire installée. Et que la perspective d’atteindre les 45 GW initialement prévus apparaît désormais comme «improbable» mais «pas impossible». Voilà où sont passés les 5 GW qui pourraient manquer à RTE au coeur de l’hiver pour assurer l’équilibre entre offre et demande électrique...

Dans son dernier calendrier prévisionnel, EDF prévoyait pourtant de son côté une disponibilité de 48 GW au 1er janvier, avec 46 réacteurs en service contre 42 en décembre. A l’heure actuelle, 26 réacteurs sont toujours à l’arrêt sur les 56 réacteurs que compte EDF : 10 en raison d’opérations de maintenance habituelle, 16 pour cause de travaux de réparation d’urgence après la découverte de problèmes de corrosion sur leurs circuits d’injection de sécurité et de refroidissement. Mais depuis, l’électricien a rencontré de nouveaux problèmes sur plusieurs réacteurs, dont le numéro 1 de la centrale de Civaux, qui comme l’a révélé Libération, n’est pas près de redémarrer suite à l’apparition d’une importante fuite d’eau radioactive lors d’un essai de fonctionnement sous pression.

Bref, quels que soient les efforts de sobriété électrique des Français, EDF a intérêt à mettre des bouchées doubles si l’on veut avoir des watts sans interruption au plus froid de l’hiver. C’est le premier dossier marqué «Urgent» qui attend le nouveau PDG de l’électricien, Luc Rémont, dont la nomination en conseil des ministres est imminente.