Menu
Libération
Info Libé

Salon Euronaval : la justice suspend l’interdiction d’exposer pour les entreprises israéliennes

Guerre au Proche-Orientdossier
Le tribunal considère que le non-accès à cet événement, décidé par l’exécutif, constitue une forme de discrimination pour les sociétés concernées. Il y a quatre mois, une décision similaire avait été retoquée pour un autre salon militaire.
Lors d'un précédent salon des équipements de défense Euronaval au Bourget, près de Paris. (Stephane de Sakutin/AFP)
publié le 30 octobre 2024 à 18h56

Bis repetita. Le tribunal de commerce de Paris a annulé ce mercredi 30 octobre, en référé (procédure d’urgence), la décision du Conseil de défense et de sécurité nationale qui interdit aux entreprises israéliennes d’exposer au salon militaire Euronaval. Cet événement, dont les portes ouvriront le lundi 4 novembre, réunit 483 exposants venus de 30 pays. On y négocie tout ce qui se déplace sur ou dans l’eau, depuis le porte-avions à propulsion nucléaire à 5 milliards d’euros pièce, au drone flottant facturé quelques milliers d’euros.

Ce jugement est similaire à celui rendu en juin par le même tribunal de commerce de Paris, quand l’Etat avait interdit d’exposition des entreprises israéliennes de défense au salon Eurosatory consacré aux équipements militaires terrestres. Ce mercredi, le tribunal a considéré que «la perte des investissements mobilisés par les demanderesses ainsi que les bénéfices escomptés de leur exposition se produira si la situation dénoncée perdure». En d’autres termes le tribunal a estimé que cette interdiction d’exposer porte un préjudice commercial et financier aux entreprises concernées. «Nous constatons que l’Etat de droit prévaut face à la manifestation de la volonté de l’Etat au plus haut niveau, afin de faire cesser une situation discriminante», a indiqué l’avocat des entreprises israéliennes et de la chambre de commerce France-Israël Patrick Klugman. Sollicités par Libération, ni le ministère de la Défense ni la société organisatrice du salon Euronaval n’ont réagi à cette décision.

«Interdiction absurde»

L’affaire débute le 1er octobre, durant un Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN). Cette instance restreinte est présidée par le chef de l’Etat. Elle réunit le Premier ministre, le ministre des Armées, celui de l’Intérieur, et son collègue de l’Economie. Ce jour-là, la décision est prise d’interdire aux entreprises israéliennes de défense d’exposer leurs produits à Euronaval. Sept sociétés sont concernées dont les deux leaders de l’Etat hébreu : le fabricant de matériel électronique Elbit et le fabricant de missiles Raphael. Bizarrement, cette décision n’est signifiée à Sogena, la société organisatrice du salon Euronaval, que quinze jours plus tard par le Secrétariat général à la défense nationale, une instance placée sous l’autorité du Premier ministre. «Visiblement il a y eu un peu de flottement et l’on ne savait pas qui devait informer de cette décision», note, un rien amusée, une source proche de l’affaire.

De manière toute aussi étonnante, trois jours plus tard, le gouvernement esquisse un début de rétropédalage en interdisant de stand d’exposition uniquement les entreprises dont les matériels sont utilisés sur les théâtres d’opérations à Gaza ou au sud Liban. Sans pour autant préciser quels sont les critères permettant de définir si un équipement est utilisé ou pas dans les conflits actuels du Proche-Orient. Résultat, sur les sept sociétés israéliennes concernées, deux d’entre elles, Orca AI, spécialisée dans l’intelligence artificielle, et DSIT, opérateur dans la surveillance maritime, conservent le droit d’exposer. Les autres devront se cantonner à un badge d’accès pour parcourir les allées du salon, mais ne pourront utiliser cet événement comme une vitrine pour leurs produits.

C’est précisément ce qui a motivé leur action devant le tribunal de commerce de Paris pour faire annuler leur interdiction d’exposer. «On ne boycotte pas les entreprises américaines dont les équipements sont utilisés à Gaza ou au sud Liban. Or l’armée israélienne utilise essentiellement des équipements américains. Cette interdiction est absurde et discriminatoire», estime Patrick Klugman, l’avocat qui représente les exposants israéliens privés de stands et la chambre de commerce France-Israël.

Contre-feu supplémentaire

Après la décision du tribunal de commerce du mois de juin, qui a retoqué une première fois l’Etat, le gouvernement a cherché à prendre des mesures préventives en vue du salon Euronaval. Dès le mois de juillet, les entreprises israéliennes et elles seules ont dû signer un avenant à leur contrat de location de stand à Euronaval prévoyant la possibilité qu’une mesure d’interdiction soit prise à leur encontre et leur ouvrant la possibilité de renoncer d’emblée à leur venue en échange d’un remboursement des frais engagés. La grande majorité des exposants concernés ont refusé ce retrait anticipé.

En outre, au moment où les entreprises israéliennes ont annoncé leur procédure en justice, l’Etat a immédiatement réagi en envoyant au front le préfet de la région Ile-de-France, Marc Guillaume. Il a utilisé une procédure assez rare pour contester la compétence du tribunal de commerce sur ce sujet au profit du tribunal administratif. Une manière d’allumer un contre-feu supplémentaire qui a également été rejetée par le tribunal. «Je trouve triste qu’il faille aller devant les juges pour corriger une décision mauvaise sur le fond», estime le président de la chambre de commerce France-Israël, Henri Cukierman. Selon les informations de Libération, Sogena, l’organisateur d’Euronaval pourrait, comme la société organisatrice du salon Eurosatory, se retourner contre l’Etat pour demander une indemnisation financière afin de compenser le manque à gagner des stands qui n’ont pu être loués par les entreprises israéliennes.